Réunis à Bruxelles en sommet extraordinaire jeudi 23 avril après-midi, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne se fixent quatre objectifs pour tenter à la fois d’éviter d’autres drames de l’immigration en Méditerranée et trouver, entre eux, davantage de solidarité pour l’accueil des réfugiés.
Un projet de conclusions lu, jeudi matin, par Le Monde reprend, dans les grandes lignes, une liste de 10 objectifs élaborée au début de la semaine par la Commission européenne, lors d’une réunion conjointe des ministres de l’intérieur et des affaires étrangères.
Evoquant la nécessité de répondre à « la tragédie » des derniers jours, le texte souligne d’abord la volonté d’accroître « rapidement » les moyens des opérations menées sous l’égide de l’agence Frontex en Méditerranée. Missions de surveillance, « Triton » et « Poséidon », devraient voir « leurs possibilités de recherche ET de sauvetage » accrues « dans le cadre du mandat de Frontex ». Cela suppose une adaptation de ce mandat et une extension de la zone d’intervention de l’agence des frontières, dont les embarcations sont cantonnées jusqu’ici à 30 miles nautiques des côtes italiennes. Il faudra également déterminer les moyens matériels à mettre en œuvre et les trouver auprès des différents Etats membres disposant de forces navales. La France, l’Espagne, la Belgique formulent des promesses d’engagement supplémentaire mais attendent de voir quel sera l’effort accompli par d’autres pays.
Accueil de 5 000 réfugiés
Au plan financier, le projet de conclusions évoque « au moins un doublement, en 2015 et 2016 ». Certaines capitales soulignent la nécessité d’agir très vite et massivement, espérant convaincre tous leurs partenaires.
Un autre test concerne l’accueil – « sur une base volontaire » a dû préciser la Commission – de 5 000 réfugiés, identifiés comme tels par les Nations unies et séjournant actuellement dans des camps au Liban, en Jordanie ou en Turquie. La question n’était pas réglée avant le démarrage des discussions. L’Allemagne, qui a déjà accueilli 30 000 Syriens (pour 10 000 au total dans les autres Etats membres) se dit prête à un nouvel effort. Un moyen, surtout, de forcer ses partenaires à l’imiter. La France, pour sa part, a promis d’accueillir 1000 Syriens identifiés par le HCR, auxquels s’ajoute l’attribution de 500 visas.
En ce qui concerne l’éventualité d’un programme d’urgence dit de « réinstallation » de réfugiés au sein de différents Etats membres, les conclusions se limitent à évoquer « la prise en considération des options ». Une directive européenne a été adoptée en 2001, évoquant une protection temporaire lors de crises graves. Elle n’a jamais été appliquée, notamment parce qu’elle suppose une répartition des personnes au sein de toute l’Union.
Le dernier chapitre, le plus controversé et le plus flou à ce stade, concerne la lutte contre les réseaux de trafiquants. Il s’agit de démanteler les réseaux, « d’identifier, capturer et détruire » les embarcations des passeurs
Entre opinions hostiles, mouvements populistes et réticences en leur propre sein, certains gouvernements ne feront rien pour favoriser une évolution. Pas plus que pour modifier les règles de « Dublin II », qui prévoient que c’est le pays par lequel entre un migrant ou un candidat réfugié qui doit examiner sa demande, lui fournir un abri et, le cas échéant, le renvoyer. On promettra, au mieux, à l’Italie et à la Grèce de leur fournir des fonctionnaires et des matériels supplémentaires pour les aider à affronter d’autres situations critiques. Au nom du « renforcement de la solidarité » entre les pays.
Démantèlement des réseaux
D’autres promesses seront par ailleurs adressées à cinq pays tiers (l’Égypte, la Tunisie, le Soudan, le Niger et le Mali). Pour éviter d’autres exils massifs, ils devraient recevoir des aides financières ainsi qu’un soutien pour la surveillance de leurs frontières. En échange, l’Union espère les convaincre d’accepter davantage d’accords de réadmission pour les « immigrés économiques », qui se verront refuser l’asile en Europe.
Le dernier chapitre, le plus controversé et le plus flou à ce stade, concerne la lutte contre les réseaux de trafiquants. Il s’agit de démanteler les réseaux, « d’identifier, capturer et détruire » les embarcations des passeurs. Dans le cadre d’une mission européenne de sécurité et de défense commune (PSDC), « en accord avec les lois internationales ». Opération policière, militaire, appuyée le cas échéant par les Nations unies ? La question reste ouverte. Le projet pourrait impliquer Europol, Eurojust, Frontex et les services de renseignement – européens et étrangers – mais ne sera, à l’évidence, pas simple à concrétiser.
Avant même que le rendez-vous n’ait eu lieu, Amnesty International France ne cache pas sa déception : « Après les révélations par le “Guardian” des conclusions provisoires du sommet, “Triton” reste la norme, le budget serait au moins doublé, toujours inferieur à “Mare Nostrum”, davantage de navires sont attendus. L'aire de déploiement resterait la même. L'UE s'apprête peut-être à adopter l’un des pires scénarios possibles, très loin de notre appel pressant à la mise en place d'une opération de sauvetage de grande envergure », souligne l’ONG.
23.04.2015, Maryline Baumard et Jean-Pierre Stroobants
Source : Le Monde