Un drame quotidien délaissé par l'Europe. Au lendemain d'une série de naufrages en Méditerranée, dans lesquels plusieurs centaines de migrants ont perdu la vie, l'émotion et la colère ont saisi associations, médias et personnalités politiques.
Accusée de passivité et intimée de prendre des mesures à la hauteur du problème, l'Union européenne a décidé de réagir en organisant un sommet extraordinaire à Bruxelles ce jeudi 23 avril. Lutte intensifiée contre les passeurs, renforcement des moyens de surveillance, extension de l'aide au développement feront notamment partie des pistes abordées par les Vingt-Huit.
Si les autorités européennes et les Etats membres de l'UE ont donc promis de faire face au problème à la suite des récents naufrages, leur frilosité et leur manque d'implication ces dernières années ont été montrés du doigt, en particulier par les ONG, Médecins sans frontière allant jusqu'à se lancer dans le sauvetage en mer malgré son manque de savoir faire en la matière.
L'immobilisme européen, certaines initiatives privées ont cependant tenté d'y pallier, chacune à leur manière. Quelques exemples:
• Les patrouilles du Phoenix
Christopher et Regina Catrambone font partie de ces particuliers qui ont décidé de venir en aide à ceux qui tentent de pénétrer la "forteresse Europe". Ce couple italo-américain millionnaire, dont la société d'assurance est installée à Malte, a déboursé plusieurs millions de dollars pour monter un projet de sauvetage de migrants. Ils ont ainsi acheté un navire de 40 mètres de long, le Phoenix, et créé une équipe d'une vingtaine de personnes, "avec pour but de prêter main forte aux autorités italiennes dans le secours des migrants", explique l'Agence France Presse.
Dans un portrait que le magazine Time lui a consacré, Christopher Catrambone a expliqué qu'il ne faisait pas ça pour sauver le monde, mais pour "aider des personnes qui sont dans une situation désespérée". "Nous parlons de notre propre perte de la dignité humaine en tant que société", indique-t-il, ajoutant qu'on ne peut ignorer que des gens meurent en mer.
L'ONG qu'ils ont créée, MOAS (pour The Migrant Offshore Aid Station), a ainsi permis en 2014 d'éviter la noyade à près de 3000 personnes, selon le chiffre relayé par l'AFP. Une aventure très coûteuse qui aurait pu s'arrêter faute de financements. A la fin de l'année dernière, Christopher et Regina Catrambone ont fait un appel aux dons pour pouvoir poursuivre leur mission humanitaire. Début avril, MOAS a annoncé qu'elle pourrait poursuivre ses patrouilles en mer grâce à un partenariat avec l'ONG Médecins sans frontières. Ensemble, les deux organisations patrouilleront sur le Phoenix entre mai et octobre.
• D'entrepreneurs à marins sauveurs
Le projet d'Harald Höppner et Matthias Kuhnt, bien que plus modeste, ressemble un peu à celui des Catrambone. Ces deux entrepreneurs allemands ont effectivement investi une partie de leur argent dans l'achat d'un bateau. Avec leur 162.000 dollars, ils ont pu acheter un navire long de 21 mètres. Celui-ci servira à patrouiller sur la mer Méditerranée pour repérer les embarcations en difficulté. Ils ont par ailleurs lancé une plateforme de financement participatif, pour rembourser une partie des frais engendrés par l'achat du bateau.
Ce qui les a décidé à monter ce projet? Au Washington Post, Matthias Kuhnt explique que l'idée a germé au moment de la célébration des 25 ans de la chute du mur de Berlin. "Nous nous sommes rendus compte qu'à seulement quelques centaines de kilomètres de l'Allemagne, nous sommes en train de construire une frontière semblable. Rien qu'en 2014, plus de personnes sont mortes aux frontières de l'Union européenne que pendant les 27 ans durant lesquels le mur de Berlin a séparé l'Allemagne", regrette-t-il.
Les deux hommes ont prévu trois mois de mission à partir de la mi-mai. Et ils ne seront pas seuls. Selon eux, des dizaines de volontaires se sont manifestés pour participer aux sauvetages de migrants. Un sauvetage qui a ses limites. Harald Höppner et Matthias Kuhnt ont précisé qu'ils ne pourront pas faire monter les migrants sur leur bateau sous peine d'être accusés d'être des passeurs. "Quand nous repérerons une embarcation en danger, nous donnerons l'alerte aux garde-côtes italiens ou maltais. Ils auront du mal à ignorer un signal de détresse venant d'un équipage allemand", jugent-ils.
• Le marin français
Donner l'alerte, Philippe Martinez l'a aussi fait à plusieurs reprises. Ce marin français a passé une partie de l'été 2014 sur la Méditerranée. Capitaine d'un remorqueur de haute mer qui croisait au large de la Libye, il a sauvé de nombreux migrants des embarcations de la mort.
• Le père Zeraï, sauveteur à distance
Mussi Zeraï, lui, n'a pas de bateau. En revanche, il a un téléphone portable et c'est son arme pour sauver ceux qui espèrent une vie meilleure hors de leur pays d'origine. Ce prêtre érythréen installé en Suisse, et dont le numéro de téléphone se transmet de migrants en migrants, contacte les secours italiens dès qu'il reçoit un appel de détresse des migrants en mer.
Le premier coup de fil de ce genre remonte à 2003, raconte-t-il à L'Obs. Cette année là, il visite un centre de détention de migrants en Libye. "Je leur ai donné mon numéro de téléphone. Au cas où. L'un d'eux l'a écrit sur le mur de la prison. Et les gens ont commencé à appeler", explique-t-il à l'hebdomadaire qui précise qu'à l'époque, il avait alerté le Centre de Coordination de Sauvetage maritime (MRCC) sans trop savoir ce qu'il fallait leur dire. Plus de dix ans après, "pas un jour ne passe sans qu'il nous appelle pour nous mettre en contact avec des personnes en mer qui ont besoin de notre aide", raconte le standardiste des gardes-côtes italiens qui l'appelle "le sauveur des migrants".
23/04/2015, Sara Taleb
Source : huffingtonpost.fr