Depuis quelques jours, on assiste à un soudain branle-bas de combat au sein des gouvernements européens et à Bruxelles. Hier, 800 réfugiés sont morts par noyade au large des côtes libyennes, la semaine dernière, ils étaient 700 dans l'embarcation qui a fait naufrage. "La situation n'est plus tolérable !" Les États membres et l'Union européenne doivent prendre leurs responsabilités, réagir, agir. Déjà en octobre 2013, le "drame de Lampedusa" avait suscité une vive émotion, sans qu'aucune mesure appropriée ne soit adoptée.
En Europe, la solidarité s'arrête là où commencent les frontières
L'opération "Triton", qui a succédé à "Mare Nostrum" en novembre 2014, organise des patrouilles dans les eaux territoriales italiennes. Le sauvetage des immigrés clandestins a ainsi été abandonné en raison de son coût trop élevé pour l'Italie. Menées par FRONTEX, l'agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, ces initiatives n'ont pas fait leurs preuves.
Depuis quelques années, certains États membres procèdent à l'externalisation du traitement des demandes d'asile afin de maintenir les réfugiés le plus loin possible du territoire européen. C'est le cas de l'Espagne avec Ceuta et Melilla, ses deux enclaves sur le continent africain, où s'entassent des réfugiés qui cherchent désespérément à rejoindre l'autre rive de la Méditerranée.
Lorsque par malheur un réfugié parvient jusqu'au sol européen, c'est entre les États membres de l'Union que commence le jeu de la patate chaude : le Règlement de Dublin prévoit en effet depuis 2003 que le premier pays d'entrée sur le territoire est responsable de l'examen de la demande d'asile. Les États se trouvant sur les frontières extérieures de l'Union européenne accueillent et traitent ainsi les demandes de bien plus de réfugiés que les autres pays. Cette répartition pour le moins injuste n'a tout bonnement aucun sens !
La solidarité entre les États membres devrait pourtant être le maître mot de la construction européenne, autrement il est évident qu'aucun avenir commun ne pourra jamais être envisagé.
La France a fait le choix de la clandestinité
La politique française en matière d'asile et d'immigration n'est pas beaucoup plus glorieuse : tous les moyens sont bons pour restreindre la présence légale des étrangers en France. Il est plus populaire d'alerter sur l'immigration clandestine que sur le séjour régulier d'étrangers...
Les titres de séjour sont de plus en plus difficiles à obtenir. Le résultat ? De plus en plus d'étrangers en situation irrégulière sur notre territoire et de plus en plus de demandes d'asile non justifiées : pourtant les flux migratoires dépendent bien plus largement des situations dans les pays d'origine que des politiques d'accueil. Cela ne doit de plus en aucun cas nous conduire à dégrader les conditions d'accueil et de traitement des demandes d'asile dans ce but.
D'après la Cour des comptes, seul 1 % des demandeurs d'asile déboutés est reconduit à la frontière. Selon les associations, le chiffre est de 10 %. La différence est énorme, mais la conclusion reste identique : quel est l'intérêt de ne pas octroyer de titre de séjour à des personnes dont on sait, quelle que soit d'ailleurs la raison, qu'elles vont rester sur le territoire ?
Parmi ces personnes qui restent sur le territoire malgré une réponse négative de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides, administration qui examine les demandes d'asile) et de la CNDA (Cour Nationale du Droit d'Asile, instance d'appel), se trouvent ceux qu'on appelle les "ni-ni". Ils ne remplissent pas les conditions prévues par la Convention de Genève de 1951, cependant le contexte qui prévaut dans leur pays d'origine, au-delà de leur situation personnelle, empêche de les renvoyer chez eux. Autrement dit, ils ne sont ni régularisables, ni expulsables.
Préférons-nous l'immigration clandestine ? Ne vaut-il pas mieux nous assurer que les personnes séjournant en France le fasse dans des conditions régulières, permettant ainsi des statistiques réalistes au lieu des mythes qui circulent, évitant les problèmes de santé publique et les violations des droits fondamentaux, assurant leur participation au système de sécurité sociale et à l'impôt ?
Combien nous coûte... la politique répressive?
A-t-on les moyens d'une politique migratoire et d'une politique d'asile généreuses ? C'est souvent par cette question que les journalistes introduisent le sujet. C'est prendre le problème à l'envers ! Concernant la politique d'asile, je répondrai simplement qu'il s'agit d'obligations constitutionnelles et de droit international, nous n'avons pas le choix. Ne laissons pas les cyniques et les fourbes nous convaincre que la solidarité et la dignité humaine ne représentent pas l'intérêt de la République française.
N'oublions pas, non plus, que le contrôle des frontières et des flux migratoires ont aussi un coût. Est-on sûrs que nos États y "gagnent"? Ce que l'on observe sans équivoque, c'est que la politique répressive menée sur le continent européen depuis maintenant 25 ans est un échec. Ajoutons que, du seul point de vue économique, l'idée selon laquelle l'accroissement de la population réduirait les possibilités de trouver un emploi ne tient la route ni théoriquement, ni empiriquement. Alors, pourquoi ?
Changeons d'approche pour une politique migratoire digne des idéaux européens
Ce système est insensé. Le projet de loi qui sera bientôt étudié par le Sénat, en ciblant la question de la durée des procédures, prend le problème par le petit bout de la lorgnette. C'est notre approche des migrations et de l'asile qu'il faut changer, et cela n'est pas si compliqué.
Remplaçons le Règlement de Dublin par une répartition équitable du traitement des demandes d'asile et de l'accueil entre les États membres, accompagnée d'une répartition des moyens ; assouplissons et harmonisons les voies légales d'immigration ; popularisons l'octroi de visas permettant de se rendre légalement dans un pays pour y demander l'asile par les délégations de l'Union européenne ; organisons la protection temporaire qui permet une accélération des procédures dans toute l'Union européenne en cas de guerre dans un pays tiers ; mettons fin aux listes de pays d'origine sûrs qui nuisent à l'examen correct des demandes et provoquent un effet absurde de vases communicants entre les États membres ; concentrons-nous, enfin, sur la lutte contre les trafics d'êtres humains, d'organe, de drogue et d'armes.
En continuant cette stigmatisation de l'étranger, dans un climat déjà tendu par les crises qui traversent l'Europe, le gouvernement, les partis politiques et les médias sont responsables de l'intolérance croissante qui règne sur le continent et de la montée des extrêmes. J'attends pourtant bien autre chose du système : la préservation de la cohésion sociale, l'émergence d'une culture européenne fondée sur la justice, le respect, la solidarité.
22/04/2015, Loé Lagrange
Source : Huffington Post