Les 28 s’obstinent dans la voie sécuritaire : en plus d’ériger l’Europe en forteresse, ils repoussent encore plus loin les frontières du continent et, avec elles, leurs responsabilités. N’est-il pas temps de changer de cap, radicalement ?
Les Etats membres répondent aux drames en déployant un arsenal d’options sécuritaires. Une posture irresponsable ! Le communiqué officiel du sommet européen fait froid dans le dos. La situation de crise de ces derniers jours reçoit une fois encore comme principale réponse un renforcement du tournant sécuritaire de nos politiques migratoires. Les Commissaires européens à la Migration maintiennent leur obstination à se concentrer sur les conséquences de leurs politiques inadaptées !
L’augmentation des moyens attribués aux opérations de l’agence Frontex en triplant les budgets de contrôle des frontières et des nouvelles routes empruntées par les migrants ne contribuera pas aux sauvetages des personnes qui se produisent le plus souvent loin des côtes. Cet investissement est un échec ! Les décès qui s’accumulent sont là pour nous prouver qu’une route fermée en ouvre une autre, davantage risquée. Les démonstrations de dissuasion ne découragent pas les personnes à migrer. Détruire les embarcations des dits trafiquants comme réponse est un leurre ! Ces décisions génèrent des traversées via des bateaux plus précaires encore.
Le financement de moyens installés aux frontières et mis à disposition de la lutte contre les migrants illustre l’obstination au refoulement des personnes privées de protection, meurtries par les guerres et les parcours d’errance cauchemardesques. Les opérations maritimes, terrestres et aériennes d’envergure seront renforcées pour persuader les candidats à la traversée de changer de cap et de revoir leurs desseins.
Est envisagé également le renforcement des coopérations politiques avec les partenaires africains qui vont dans le sens d’un soutien aux Etats pour contrôler leurs frontières. Il s’agit, de fait, de poursuivre une politique d’externalisation des frontières, stratégie utilisée de longue date par l’Europe pour ériger au-delà de ses limites territoriales les bases avancées de ses garde-remparts. Politique d’externalisation qui permet de déjouer l’obligation d’appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en déplaçant, au-dehors du territoire européen, le bannissement des populations qui une fois arrivées en Europe bénéficieraient du droit de demander l’asile. Politique qui génère des lieux de non-droit, comme le laissent entrevoir les nombreux camps aux abords des frontières.
Les conclusions du sommet laissent également croire en de possibles résolutions rapides des conflits au Moyen-Orient par une intensification des coopérations, entre autres, avec la Turquie. Ce point nous laisse perplexe au vu de la complexité des enjeux géopolitiques. Des solutions rapides à ces conflits sont tout simplement illusoires.
Enfin, rappelons une fois encore que les drames répétés de ces dernières heures, au large des fortifications du continent Européen, ne sont en rien le fruit d’une indéniable fatalité. Ils constituent les conséquences de choix politiques légiférés et organisés par les Etats membres. Les discours qui tentent d’imputer les causes de ces tragédies exclusivement aux passeurs criminels, comme nous l’avons entendu au travers des allocutions politiques récentes, éludent incontestablement les causes et les enjeux rendant ces drames possibles.
A défaut de pouvoir obtenir un visa, solution évincée lors de ce dernier sommet européen, leur permettant d’introduire en toute légalité une demande d’asile dans l’espace Schengen, les personnes persécutées se voient contraintes de se tourner vers l’offre criminelle de passeurs peu soucieux de leur sort. Si dans ce même plan d’urgence est ébauchée la question de la réinstallation de quelques milliers de réfugiés en Europe ainsi qu’un soutien aux pays-frontières, ces mesures sont énoncées en parallèle de la facilitation des renvois forcés des migrants dits illégaux, coordonnés une fois encore par Frontex.
Ces politiques de "barriérisation" des frontières ne peuvent avoir comme conséquence que le renforcement des mécanismes informels qui se jouent des Etats et des individus vulnérables. Les blocages aux lignes frontalières engendrent du danger (pour les migrants plus fragiles) et la prolifération de pratiques informelles et criminelles.
De fait, les situations de violences, les déséquilibres du commerce international et l’accroissement des inégalités, les menaces environnementales, l’accaparement et l’épuisement des ressources continueront à alimenter les dynamiques migratoires peu importe les politiques sécuritaires mises en place.
N’est-il pas devenu urgent, dès lors, d’aborder les questions migratoires de front, en ce inclus une analyse complexe des contextes qui président aux migrations ? Ne serait-il pas temps de reconnaître que l’Europe, en s’entêtant à évincer les vraies résolutions face à la crise humanitaire en Méditerranée, va une fois encore droit dans le mur, de reconnaître également la nécessité d’un changement de cap radical comme seule porte de salut réaliste ?
27 avril 2015
Source : lalibre.be