dimanche 24 novembre 2024 03:04

D'Erythrée à la Libye via Israël, l'errance tragique d'un migrant décapité par l'EI

Quand il raconte le moment où il a vu en vidéo les jihadistes décapiter son cousin, Fikre Mariam baisse les yeux, écoeuré. "Je n'ai jamais rien vu d'aussi horrible", lâche cet Erythréen dans l'appartement exigu de Tel-Aviv qu'il partage avec une compatriote.

"Ces gens ne sont pas humains. Commettre et filmer de telles atrocités, c'est le summum du terrorisme", dit-il.

Son cousin et une trentaine de chrétiens d'Afrique de l'Est ont été égorgés ou tués par balle par l'organisation État islamique (EI) en Libye. Les jihadistes ont mis en ligne la vidéo du massacre le 19 avril et présenté leurs victimes comme étant des Éthiopiens, mais la plupart seraient en fait des Érythréens.
Au moins trois des victimes érythréennes avaient vu leur demande d'asile refusée en Israël, selon des proches et des associations qui les ont reconnus parmi les victimes.

Le même jour, plus de 700 migrants se noyaient au large de la Libye. Comme eux, le cousin de Fikre Mariam et d'autres parmi les victimes de l'EI avaient décidé de prendre la dangereuse route de l'Europe via la Libye, où ils ont été capturés par les jihadistes.

Pour des milliers d'Érythréens ou de Soudanais, Israël représente, à défaut d'Europe, le plus proche espoir d'une vie meilleure. Selon l'ONU, Israël abrite 53.000 réfugiés et demandeurs d'asile, la plupart entrés via l'Égypte. Parmi eux, 36.000 sont venus d'Érythrée, 14.000 du Soudan.

 'Qu'est-ce qui peut m'arriver ?'

Le sort des Érythréens assassinés par l'État islamique, conjugué au naufrage au large de la Libye, a éclairé l'itinéraire de ces hommes et de ces femmes voués à l'errance par la misère ou les persécutions. Il a aussi mis en lumière la politique israélienne d'immigration.

La famille de Tesfay Kidane a appris sa mort après la diffusion de la vidéo de l'EI. "Depuis, je fais des cauchemars: je le vois assis dans une combinaison orange", raconte Kidsti Ghezie, la cousine de Tesfay Kidane et colocataire de Fikre Mariam dans un petit appartement décoré d'icônes et d'images pieuses.
Meseret Fisahaie, une proche de Tesfay Kidane née en Israël, raconte avoir essayé de le dissuader de quitter le territoire qu'il avait rejoint clandestinement en 2007.

"Avant qu'il parte, il m'a dit qu'il pensait à quitter Israël car le ministère de l'Intérieur lui avait dit qu'il pouvait obtenir le statut de réfugié en Ouganda ou au Rwanda", dit-elle, "je lui ai dit que j'avais un mauvais pressentiment mais il a rigolé et m'a dit: +qu'est-ce que tu penses qu'il peut m'arriver ?+".

Tesfay, 30 ans, vivait alors dans le centre de rétention de Holot, dans le désert du Néguev (sud d'Israël). Là s'entassent plus de 2.000 clandestins, pour la plupart des Erythréens et des Soudanais qui peuvent être détenus jusqu'à 20 mois. Si leur demande d'asile est refusée, on leur propose un départ présenté comme volontaire vers l'Ouganda ou le Rwanda généralement. Or seuls de très rares Erythréens ont à ce jour obtenu le droit d'asile, disent les ONG.

 Tesfay 'en a eu marre'

Tesfay a choisi l'Ouganda. Mais à l'arrivée, il a été refoulé, expliquent des proches. Il a donc repris la route: le Soudan d'abord, puis la Libye, pour tenter de gagner l'Europe.

Ceux qui l'ont connu sont sous le choc depuis son meurtre en Libye.

"Je préfère être enfermé que prendre cette route", lance son compatriote Aman Beyene, amené il y a 14 mois à Holot avec Tesfay. "Rien n'est sûr une fois arrivé en Ouganda ou au Rwanda". Israël "te promet que tu obtiendras le statut de réfugié, mais c'est une fausse promesse: personne ne l'a".

Autour de lui, les migrants du centre de Holot errent, cigarette ou bière à la main pour certains, au milieu des cendres de feux de camp allumés durant la nuit. La journée, ils peuvent sortir --jusqu'au couvre-feu-- mais la grande ville la plus proche est à une heure. Tesfay "en a eu marre, il était déprimé et il a décidé de partir", parce qu'ici, "c'est comme vivre en prison", dit Aman.

Pour l'association de défense des migrants Hotline for Refugees and Migrants, Holot n'est qu'une méthode de plus pour forcer les demandeurs d'asile à partir. "Ceux qui choisissent entre le départ d'Israël ou une détention prolongée ne choisissent pas +volontairement+ de partir", dit-elle dans un rapport.
Sollicité par l'AFP, le ministère israélien de l'Intérieur a décliné tout commentaire.

28 avr. 2015,John DAVISON

Source : AFP

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