Dans le cadre du 4e Rendez-vous du Havre organisé par la Bibliothèque universitaire et l’association Deux Tiers, le photojournaliste Olivier Jobard a exposé son travail sur les migrants et répondu aux questions de collégiens en classe de sixième.
Il publie dans la presse internationale et compte plus de vingt ans de photojournalisme, des milliers de kilomètres à son compteur de grand reporter. Olivier Jobard est une valeur sûre pour les rédactions. Après des années de reportage pour l’agence Sipa press, il est aujourd’hui membre de l’agence Myop. Depuis près de 15 ans, il documente les routes des migrants vers l’Europe.
En centre ville, à la Bibliothèque universitaire du Havre, il a exposé du 16 mars au 24 avril 2015, « Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin ». Réalisé il y a plus de dix ans, c’est un exceptionnel document sur le phénomène migratoire et, une belle relation humaine entre Kingsley, le migrant et Olivier Jobard, le photojournaliste.
En 2004, Olivier Jobard accompagne Kingsley Abang Kum, qui a décidé d’émigrer en France. Ensemble, pendant six mois, ils suivent la route qui mène les migrants d’Afrique en Europe.
Depuis 2014, les Rendez-vous du Havre ont institué un programme pédagogique à l’attention des collégiens et lycéens, avec le soutien du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI). Les deux classes de sixième avaient préparé avec leurs professeurs la rencontre avec le photojournaliste.
Ils ont eu droit à une projection privée des photographies de l’éprouvant voyage. Puis les questions ont fusé. La jeunesse est intriguée par le travail du photographe.
Olivier Jobard interviewé par les « 6ème »
Avez-vous des nouvelles de ceux que vous avez photographiés ?
« Kingsley c’est un petit frère. C’est un ami, je suis comme un oncle pour lui. Et puis, je suis resté en relation avec Ibrahim qui vit en Espagne. J’avais fait la connaissance de sa copine et de sa mère au Sénégal. Je leur avais amené des photos d’Ibrahim. »
« Et puis Ibrahim a été régularisé, il a eu des papiers, s’est marié avec sa copine et maintenant ils travaillent et habitent à côté de Barcelone. Ils ont un enfant. L’été dernier il est venu en vacances à Paris et on s’est vu tous les trois, avec Kingsley et Ibrahim. On a été aux Champs Elysées. »
Pourquoi avez-vous choisi de faire ce reportage ?
« J’ai commencé par aller pas loin d’ici à Calais. A Sangatte, j’ai rencontré un afghan qui venait d’un village. Par un étonnant hasard, j’étais dans ce village peu avant, pour un reportage. Alors, c’est moi qui lui ai donné des nouvelles de son pays ! »
« C’est comme ça que j’ai eu envie de comprendre pourquoi ils prenaient tout ces risques ».
Comment vous avez vécu dans le désert ?
« Dans le désert, nous avions chacun une boite de sardines et une baguette par jour. Dans le désert il fait froid la nuit, alors j’enfilais la combinaison que j’avais pour affronter la mer si je tombais à l’eau, mais ce n’était pas efficace. »
« J’ai vécu avec eux. Au départ j’étais avec eux à l’arrière du pickup mais il y avait beaucoup de poussière donc j’ai négocié pour être à l’avant et pouvoir faire des photos. Dans le bateau c’est pareil, j’ai eu un régime de faveur que j’ai négocié avec le passeur. Je voulais être à l’avant pour pouvoir faire des photos des gens dans le bateau. Si j’avais été au milieu d’eux, je n’aurais pas pu photographier ».
« J’étais presque comme eux, mais pour mon travail j’ai dû faire des entorses… A Agadez, j’ai craqué. Toutes mes batteries d’appareils photo étaient à plat, alors j’ai dormi à l’hôtel pour recharger. Mais j’étais la plupart du temps avec eux. On partageait tout. »
Mais vous, vous aviez des papiers ?
« Dans la plupart des pays j’avais un visa. Au Cameroun j’avais un visa, mais au Nigeria je n’en n’avais pas, par contre Kingsley n’avait pas besoin de visa avec son passeport camerounais. Pour l’Algérie, je n’ai pas voulu entrer clandestinement car il y a beaucoup de contrôle… Un blanc au milieu d’Africains, c’est vite repéré. J’ai donc rebroussé chemin et avec Kingsley nous avons repris le contact à Alger. »
« Au Maroc, je suis entré illégalement, je n’avais pas de tampon d’entrée et je me suis fait arrêter et expulser lors d’un contrôle. Kingsley lui a été en prison. »
Est-ce que vous étiez conscient que vous pouviez mourir ?
« J’étais conscient que je prenais des risques mais je faisais attention. Par exemple pour la traversée en bateau, j’ai acheté un gilet de sauvetage pour moi et j’en ai offert un à Kingsley. »
« Comme j’avais passé cinq mois avec lui, que nous nous étions mutuellement engagés à faire le voyage ensemble, je ne me voyais pas arriver devant le bateau, lui dire vas-y coco, moi je prends l’avion. J’aurais eu l’impression de l’abandonner au moment de la partie la plus dangereuse. Ca ne se fait pas ! »
« Ce voyage avec Kingsley date de dix ans, mais ça n’a pas changé. On entend toujours parler de migrants qui voyagent…. Les routes évoluent mais le phénomène reste le même. Il y a dix ans, la route était plutôt celle que nous avons faite, aujourd’hui ils traversent plutôt la Méditerranée vers Lampedusa en Italie. »
« Le phénomène migratoire est toujours là. Il y a toujours autant de personnes qui veulent venir du sud vers l’Europe parce qu’on a plus de chance d’évoluer et de faire ce qu’on veut en Europe qu’en Afrique. »
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
« J’ai commencé il y a plus de vingt ans. J’étais au lycée. J’aimais bien le travail de certains photographes. J’étais touché par les photos à caractère humain comme ce que fait Sebastiao Salgado. Mais je ne savais pas très bien ce que je voulais faire comme photo. «
« Et puis en terminale j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus au photojournalisme, à la presse. J’ai commencé à avoir envie de raconter les histoires des gens. C’est la photo qui m’a emmené au journalisme. Et puis c’est un moyen pour voyager… »
« Au départ, j’étais dans une agence de presse. Je couvrais l’actualité, des conflits, les drames et tout ça… Et puis je suis allé en reportage à Sangatte près de Calais, pas loin d’ici. Il y avait dans un hangar plein de gens qui voulaient aller en Angleterre et venaient des pays en guerre où j’étais allé en reportage. »
« Je voyais les conséquences des guerres. Je connaissais un peu leur culture, leur pays… Alors j’ai décidé de m’intéresser à ces héros des temps modernes car c’est difficile de quitter son pays, ses amis, sa vie…. Je trouve cela très fort de quitter tout pour un autre monde. »
Est-ce qu’il y a des choses positives ?
« Ma relation avec Kingsley ! On a une belle relation et puis le positif c’est qu’il est arrivé au bout de son voyage, il a réussi à arriver en Europe. C’était son choix au départ et il a tout donné pour ça »
Est-ce que le Président de la République a vu le reportage ?
« A chaque fois que nous rencontrions un nouveau groupe, tout le monde disait : pas de photo. Et puis je reste là, je mange avec eux, je dors avec eux… Et je commence à faire quelques photos et les gens m’acceptent. Après c’est l’inverse, quand les passeurs ont amené le bateau, les migrants m’ont demandé de certifier que c’était un bon bateau, un bon moteur… Je leur ai dit que je n’y connaissais rien. »
« Du coup, comme je suis le seul blanc et journaliste, j’ai un rôle particulier. Après le chavirage, où il y a eu deux morts, il y en a un qui m’a pris à parti en me demandant de montrer ça au Président de la République ! »
29 avril 2015, Michel Puech
Source : mediapart.fr