Les fantasmes sur les flux migratoires sont intenses en France. Beaucoup de Français se voient victime d'une immigration massive en hausse constante. Est-ce réellement le cas ? Professeur de sciences économiques et sociales, Mouhib Jaroui nous propose un décryptage sans concession de cette épineuse question.
Une idée reçue est assez répandue chez nous en France : «La France est une terre d’immigration particulièrement massive». En effet, des débats passionnés, pas toujours constructifs et manquant souvent d’objectivité, tirent le signal d’alarme sur ce qu’ils appellent «l’immigration massive», allant parfois jusqu’à prêcher un «optimum de diversité» et «un seuil d’altérité». Cette opinion est construite davantage sur un conflit de perceptions que sur des données scientifiques. Qu’en pensent les démographes ?
L’immigration en France : pas si massive selon les statistiques officielles
«L’immigration massive» est, quand elle ne relève pas du fantasme, une «idée reçue» selon de nombreuses études démographiques. Il convient, en effet, de souligner que d’après lesdites enquêtes, la France comprend moins d’étrangers sur son territoire que la plupart des autres pays européens. La France ne connait pas plus d’immigration que certains pays comparables comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie, c’est le contraire qui prévaut1. Déjà en 2004, le démographe François Héran disait qu’il y a vingt-cinq ans que la France «n’est plus un pays d’immigration massive», et devenu le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins des flux migratoires. Dans son article datant de mars-avril 2015, il confirme ses analyses en disant «si la France a été un pays d’immigration massive depuis les années 1950 jusqu’au début des années 1970, ce n’est plus le cas à présent (…) l’apport des migrants à la croissance démographique de la France reste minoritaire, contrairement à ce qui se passe dans la majeure partie de l’Europe»2. D’autres études riches en statistiques confirment ces résultats. Selon l’INSEE, la proportion des résidents qui sont nés à l’étranger représente environ 11%, ce qui place la France, à l’instar des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, en position médiane3.
Cette perception biaisée du phénomène migratoire s’explique par une plus forte concentration des immigrés et leurs descendants
D’une part, on observe une plus forte concentration locale des populations immigrées. Comme le fait remarquer le démographe François Héran, «des concentrations locales peuvent aboutir à des proportions de population immigrée extrêmement élevées dans certaines communes»4.
En 2012, l’INSEE fait le même constat dans son enquête citée plus haut : les immigrés d’origine européenne (UE) sont répartis de façon quasi similaire à celle de l’ensemble de la population. Tandis que les immigrés provenant d’un pays hors de l’union européenne sont «concentrés aux trois quarts dans les unités urbaines d’au moins 100 000 habitants»5. En guise d’illustration, la part d’immigrés est la plus élevée en Ile-de-France (27 %). Ce qui rend évidemment cette visibilité plus marquée qu’ailleurs, donnant l’impression d’une «immigration massive», alors qu’il n’en est rien en réalité, comme nous l’avons montré plus haut.
Les effets d'optique de l'immigration urbaine
D’autre part, selon Gérard Bouvier, la proportion de descendants d’immigrés dans la population résidente est parmi les plus élevées d’Europe. Ainsi, la «deuxième génération» représente 6,7 millions de descendants directs d’immigrés en France, c’est-à-dire, conventionnellement, les personnes nées en France ayant au moins un parent immigré. Et le fait que les descendants d’immigrés soient de la «deuxième génération» n’empêche pas une certaine concentration locale relative, renforçant ce sentiment d’ «immigration massive». En effet, les descendants d’immigrés «résident assez souvent là où existent des communautés», au sens de personnes de même origine. Ils sont un peu plus nombreux que les non-immigrés à vivre dans la même région, voire le même quartier que leurs parents. Le résultat se traduit par une diffusion progressive mais modérée sur tout le territoire (…). Les descendants d’immigrés résident encore deux fois plus fréquemment en ZUS (Zone urbaine sensible, ndlr) que l’ensemble de la population»6. Ce qui explique, dans une certaine mesure, ce hiatus entre la perception biaisée et les statistiques démographiques. La question qu’on peut se poser est la suivante : les immigrés et leurs descendants sont-ils plus concentrés que le reste de la population par attrait pour le communautarisme ? Ce sera l’objet d’un prochaine chronique…
1/5/2015, Mouhib Jaroui
Source : zamanfrance