Les images à glacer le sang de centaines de migrants, femmes et enfants compris, entassés dans des bateaux de fortune en plein Méditerranée, laissés à la merci de la Mare Nostrum et de trafiquants peu scrupuleux, ne peuvent laisser indifférent.
En Europe, "terre promise" des migrants, c'est une puissante onde de choc qui semble avoir été provoquée par ces tragédies successives vécues par des milliers de migrants qui mettent leur vie en péril pour regagner la terre ferme.
Souvent pointée du doigt, l'UE a enfin décidé de réagir. Le président de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, a voulu frapper les esprits en portant un "Agenda européen sur la migration" que d'aucuns qualifient d'ambitieux. N'en déplaise à certains Etats membres qui s'y opposent énergiquement.
Après Juncker, qui avait estimé que la réponse des Etats membres avait été "insuffisante", la haute représentante de l'UE aux affaires étrangères et à la politique de sécurité et vice-présidente de la CE, Federica Mogherini, va dans le même sens. Pour elle, la question migratoire relève de la responsabilité de tous les Etats membres, chacun d'eux étant appelé à contribuer à la solution de ce défi historique, lequel n'a pas une dimension uniquement européenne, mais plutôt mondial.
Pour passer des paroles aux actes, le nouvel Agenda de la Commission européenne, présenté mercredi en grande pompe, se penche aussi bien sur les situations d'urgence que sur le long terme.
C'est ainsi que le plan européen prévoit dans l'immédiat le triplement des capacités et des ressources disponibles pour les opérations conjointes de Frontex, l'agence européenne pour la sécurité et les frontières extérieures de l'UE, l'activation du mécanisme d'urgence, prévu par le Traité sur le fonctionnement de l'UE, pour aider les Etats membres confrontés à un afflux soudain de migrants et l'instauration d'un programme de réinstallation à l'échelle de l'Union pour offrir 20.000 places à des personnes déplacées qui ont besoin d'une protection internationale en Europe. L'urgence consiste aussi à mener une vaste opération dans la Méditerranée pour démanteler les réseaux de passeurs et lutter contre le trafic de migrants.
Au-delà de ces mesures, qui ne pourraient suffire à elles seules, les responsables européens envisagent d'autres étalées sur le long terme et qui devraient permettre de mieux gérer les migrations dans tous leurs aspects.
Réduction des incitations à la migration irrégulière, gestion des frontières, restructuration de la politique européenne commune d'asile ou encore mise en place d'une nouvelle politique pour la migration légale. Tout devrait être mis en œuvre pour inverser la donne.
Mais, la principale interrogation reste après tout de savoir comment l'équipe Juncker arriverait, elle, à mettre en œuvre son plan Migration, alors que quelques points sont hautement contestés dans nombre de capitales européennes, dont Londres en premier chef.
La question de la répartition obligatoire des quotas des demandeurs d'asile sur les Etats membres suscite tout particulièrement la controverse. Alors que la Commission veut soulager les pays de première ligne (cinq Etats membres dont l'Italie, la Grèce, Malte et Chypre traitent 72 pc des demandes d'asile), elle devra faire face à l'opposition de pays comme la Pologne ou la Hongrie qui n'accueillent pratiquement aucun ou peu de demandeurs d'asile. Mais surtout le Royaume-Uni, où l'immigration a été l'un des principaux thèmes des dernières élections.
Là aussi, un autre obstacle se dresse devant Jean Claude Juncker. En décidant d'activer la directive de "protection temporaire", prévue par le Traité de fonctionnement de l'UE en cas d'afflux soudain et massif de migrants, la Commission doit gérer une situation assez complexe : Trois pays disposent en effet, depuis le Traité de Lisbonne, de dérogations, leur permettant de ne pas participer aux politiques communes en matière de justice et affaires intérieures. Il s'agit du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark.
Inflexible, la ministre britannique de l'Intérieur, Theresa May, a estimé à cet effet que l'instauration de quotas ne pourra qu'encourager les migrants à effectuer ces traversées dangereuses. A ses yeux, une telle approche ne peut qu'encourager plus de personnes à mettre leur vie en péril.
Aussi, sur la question tout aussi problématique de la révision du règlement de Dublin, qui a institué le principe suivant lequel c'est le pays où le migrant est arrivé qui a l'obligation de traiter sa demande d'asile, il serait bien compliqué de parvenir à un accord. Les pays nordiques, géographiquement moins exposés que les pays méditerranéens, sont tout sauf réceptifs.
Enfin, l'équipe Juncker semble avoir aussi du pain sur la planche pour ce qui est de la migration légale. Car, tandis que la Commission estime que la migration légale peut servir de moyen clé pour gérer autrement le flot incontrôlé de migrants, régler les soucis de sécurité, en ce compris les activités des passeurs, d'autres, notamment au sein du Parlement européen, ne se montrent pas enthousiastes.
L'ancien candidat à la présidence de la CE, Guy Verhofstadt, chef de file des libéraux au PE, croit que "le système de l'asile et des réfugiés est abusivement utilisé par des candidats à l'immigration économique".
Loin de se laisser décourager par les réticences des uns et les contestations des autres, la Commission se dit prête au rapport de force, notamment avec le Conseil. Car, selon elle, le pire serait de "ne rien faire, de maintenir le système actuel".
14 mai 2015,Morad Khanchoul
Source : MAP