jeudi 4 juillet 2024 06:20

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L'agenda migratoire de l’UE : un nouvel élan bienvenu

La publication de l'agenda de la Commission sur la migration intervient dans un contexte difficile. Humainement, tout d'abord, en raison des drames récurrents et insupportables survenant en Méditerranée et auquel une réponse rapide doit être apportée. Politiquement, ensuite, compte tenu d'un contexte économique - la crise - et électoral - la montée des partis d'extrême droite et anti-européens - qui rend difficile toute discussion et action dans ce domaine.

Dans ce contexte, l'exercice pour la Commission Juncker était délicat puisqu'il s'agissait d'agir vite, avec des marges de manœuvre limitées. Si certaines orientations avaient déjà été dévoilées à l'occasion du Conseil européen du 23 avril, la publication de l'agenda fournit à la Commission l'occasion de rappeler et de préciser les actions qu'elle souhaite mettre en œuvre dans l'immédiat, le moyen et le long terme. Aussi, trois aspects de l'agenda peuvent être mis en avant : l'innovation, la confirmation et la vision à long terme.

1 - La solidarité par la contrainte : un agenda innovant et politique

La première innovation relève des mesures annoncées en matière de « relocalisation » et de « réinstallation » des personnes relevant ou demandant la protection internationale. Derrière ce jargon européen se dessine les axes d'une « solidarité » nouvelle entre Etats membres de l'UE et vis-à-vis des pays tiers.

La relocalisation, largement relayée sous le vocable de « quotas européens », consiste à mettre en place un mécanisme de répartition entre les Etats membres de demandeurs d'asile arrivés sur le territoire de l'UE, principalement dans les Etats situés en première ligne. C'est actuellement le cas de l'Italie dont les capacités d'accueil d'un nombre toujours croissant de demandeurs d'asile (+143 % entre 2013 et 2014) sont saturées.

Face à l'inertie des Etats membres à porter une assistance concrète à l'Italie, la Commission passe à la vitesse supérieure en décidant de présenter fin mai un mécanisme de relocalisation obligatoire entre Etats membres de l'UE. La proposition portera sur un mécanisme temporaire de distribution des personnes ayant un besoin avéré de protection internationale. La distribution des demandeurs entre Etats devra s'effectuer sur la base de critères objectifs portant sur la population (40%), le PIB (40%), le taux de chômage (10%) et le nombre de demandeurs d'asile accueillis et de réfugiés réinstallés par million d'habitants entre 2010 et 2014 (10%).

Si certains pouvaient douter de la dimension « politique » de la Commission Juncker, ils pourront réviser leur jugement. C'est en effet un véritable tour de force politique exercé à la faveur de l'article 78.3 du TFUE. Cette base juridique est importante à deux égards. Elle permet au Royaume-Uni, opposé au dispositif, d'utiliser sa clause dérogatoire (ou opting out), ce qu'il a déjà annoncé avoir l'intention de faire. Elle requiert ensuite une adoption à la majorité qualifiée. Mais les Etats membres hostiles au projet, comme la Hongrie, devront recueillir une minorité de blocage pour faire échec à la proposition.

La négociation sur le contenu de la proposition s'annonce en revanche difficile. D'une part, les critères de distribution risquent d'être âprement discutés et la clé de répartition aujourd'hui présentée peut encore changer. D'autre part, certains élément restent encore à définir tels que les voies et motifs de recours individuels contre une décision de relocalisation ou encore les mesures à adopter pour s'assurer que les personnes relocalisées restent dans l'Etat membre désigné.

L'annonce de l'adoption d'une recommandation sur un mécanisme de réinstallation constitue l'autre innovation remarquable. Il s'agit ici de faire preuve de solidarité avec les pays tiers qui accueillent un nombre considérable de réfugiés et d'organiser l'arrivée et la distribution de personnes vulnérables en provenance de ces pays tiers vers les Etats membres. Basé sur une clé de répartition similaire à la relocalisation, ce dispositif actuellement non contraignant prévoit la réinstallation de 20 000 personnes par an jusqu'en 2020. La Commission souligne que cette première initiative pourra si nécessaire être complétée par un mécanisme de réinstallation obligatoire : ici encore le caractère volontaire risque de montrer ses limites et pousser la Commission à décréter la solidarité.

L'innovation dont fait preuve la Commission Juncker témoigne d'une volonté de réponde à l'urgence humanitaire, si besoin en contraignant les Etats sur le terrain de la solidarité. La balle est désormais dans leur camp. Si les négociations sur le système de relocalisation illustreront leur degré de solidarité interne, le nombre de réfugiés effectivement réinstallés parmi les 20 000, au moment où des millions de personnes fuient les conflits et résident au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord, reflétera l'étendue de leur solidarité externe.

2 - La confirmation de l'existant : un agenda pragmatique

Elle concerne tout d'abord le triplement du budget alloué aux opérations Triton et Poséidon pour les années 2015 et 2016. Comme l'indique la Commission, cela permettra à l'Agence FRONTEX d'étendre son soutien aux Etats sous pression, notamment en termes de surveillance et de sauvetage. Nul doute cette décision sera critiquée par certains Etats sur le thème de « l'appel d'air », qui reste toujours à démontrer, mais il s'agit bel et bien d'une nécessité si l'on veut effectivement éviter que les personnes meurent en mer.

Ensuite, l'agenda de la Commission confirme une tendance portant, d'une part, sur la nécessité de mettre en œuvre la législation existante et, d'autre part, sur l'amélioration de la coordination opérationnelle. Ces aspects sont abordés dans la seconde partie de l'agenda traitant des actions à mettre en œuvre dans les quatre domaines de la politique migratoire (l'immigration irrégulière, la gestion des frontières, l'asile et l'immigration légale).

Certains pourraient regretter un « manque de souffle » des propositions tant sur le fond et que sur l'articulation entre les services de l'exécutif européen. Mais s'attacher à mettre en œuvre l'existant tout en le rendant plus efficace n'est pas mince affaire et mérite que l'on y prête attention. En outre, le contexte politique actuel ne se prête pas à des orientations d'ampleur.

3 - La vision à long terme : un agenda élargissant utilement le débat sur les migrations

La dernière partie de l'agenda présente les mesures à mettre en œuvre dans le long terme : on y retrouve le souffle manquant dans la seconde partie. La Commission présente les orientations qui n'ont pour l'instant pas le soutien des Etats mais qu'elle souhaite discuter, voire mettre en œuvre.

Dans le domaine de l'asile, la Commission présente trois axes de réflexion portant sur un « code asile », la reconnaissance mutuelle des décisions d'asile et l'établissement d'un processus unique de décision en matière d'asile, en essayant de remédier aux insuffisances actuelles du systême commun d'asile et aux limites de la logique sous-jacente au Règlement de Dublin.

Dans le domaine de la gestion des frontières, la Commission envisage une mutualisation poussée des moyens et l'établissement d'un corps de garde-côtes européens. Enfin, elle souhaite réfléchir à la création d'un système permettant aux employeurs de recruter en priorité des candidats dans un groupe de travailleurs migrants.

Si ces propositions constituent des points sur lesquels la Commission souhaite travailler, elles ont le grand mérite de relancer des débats cruciaux portant sur l'immigration légale et l'intégration, le besoin de main d'œuvre et la confiance mutuelle entre les Etats membres.

L'agenda présenté par la Commission peut souffrir et souffrira de critiques. Néanmoins, il faut donner crédit à l'exécutif européen d'avoir fait preuve d'un engagement politique certain dans un contexte qui ne s'y prêtait pas forcément.

17/05/2015, Antonio Vitorino, Yves Pascouau

Source : huffingtonpost.fr

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