Ils leur sauvent la vie en mer, leur donnent tout ce qu'ils peuvent. Contrairement aux gouvernements du Sud-Est asiatique, les habitants de la province islamique indonésienne d'Aceh accueillent à bras ouverts les centaines de migrants, musulmans comme eux, qui déferlent sur leurs rivages.
Environ 1.800 Bangladais et membres de l'ethnie Rohingya, minorité musulmane qui vit essentiellement en Birmanie, ont débarqué ces derniers jours dans cette province du nord-ouest de l'Indonésie. Ils ont été abandonnés par leurs passeurs, inquiets de la nouvelle politique de répression mise en oeuvre par la Thaïlande qui a perturbé les filières traditionnelles de la traite d'êtres humains.
D'autres candidats à l'exode sont parvenus à gagner la Malaisie et la Thaïlande. Mais Jakarta, Bangkok et Kuala Lumpur ont aussi refoulé plusieurs bateaux, s'attirant les foudres de l'ONU et des organisations humanitaires.
A Aceh, la seule région indonésienne où est appliquée la charia, la loi islamique, bon nombre d'habitants, consternés par la politique de leur gouvernement, ont ouvert les bras aux migrants qui ont réussi à toucher terre.
"Ils ont besoin de notre aide. Nous avons vu qu'ils étaient dans un état déplorable, démunis, qu'ils avaient faim et soif", dit Cut Haya, une étudiante de 18 ans. "En tant qu'êtres humains, nous devons leur venir en aide, d'autant plus qu'il s'agit de nos frères et soeurs musulmans".
Outre cette solidarité de coreligionnaires, les habitants ont l'empathie de ceux qui ont subi des épreuves difficiles: pendant trois décennies, la province a connu un conflit séparatiste qui n'a pris fin qu'en 2004, lorsqu'un puissant tremblement de terre suivi d'un tsunami monstre avait fait près de 170.000 morts dans la province.
La sympathie se manifeste en particulier à l'égard des Rohingyas, minorité parmi les plus persécutées au monde d'après l'ONU, qui fuit la Birmanie largement bouddhiste. Les Bangladais veulent eux pour la plupart échapper à la pauvreté.
'Faire preuve d'humanité'
Surprises par l'arrivée des premiers réfugiés épuisés, les autorités ont dû se démener pour trouver vivres et abris mais leurs ressources ne sont pas suffisantes.
Les habitants de la province, où la pauvreté est pourtant davantage prévalente que dans le reste de l'Indonésie, y ont aussi mis du leur.
Depuis le début de la crise, les habitants de Langsa, petite localité de pêcheurs, apportent régulièrement des marchandises dans les abris. Des volontaires se plient en quatre pour rassembler oeufs, nouilles, vêtements et produits d'hygiène.
Dans les champs avoisinants, les habitants jouent au football avec les enfants des abris, leur fournissant l'occasion de brefs moments de répit.
Bon nombre de réfugiés ont pu éprouver la solidarité des gens du cru avant même de fouler le sol d'Aceh: ce sont des pêcheurs qui les ont secourus en mer, à l'instar d'un nouveau groupe de plus de 400 personnes arrivées mercredi.
"Nous leur fournissons une première aide, nous leur donnons à manger, à boire et un endroit confortable où rester", dit Sadikin, un responsable des services de secours qui, comme de nombreux Indonésiens, ne porte qu'un nom.
Une fois arrivés à terre, les migrants doivent faire face à une longue période d'attente, parfois des mois, d'après l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), que leur demande d'asile soit instruite par les autorités.
Les inquiétudes sont grandes quant au sort de centaines d'autres qui se trouveraient encore en perdition au large. Mardi, une centaine de personnes ont ainsi participé à une manifestation à Banda Aceh pour exiger que des efforts soient faits pour sauver ces personnes au lieu de les refouler vers le large.
"Quand le tsunami a frappé Aceh, les gens du monde entier sont venus ici pour nous aider, indépendamment de leur race, ethnie ou religion", explique Muhammad Hamza, l'un des organisateurs. "Maintenant, il est l'heure de faire preuve d'humanité en aidant les Rohingyas".
La plus importante organisation musulmane d'Indonésie, Nahdlatul Ulama, a condamné la décision du gouvernement d'interdire l'accès à ses rivages aux bateaux de migrants.
"Si nous les laissons mourir en mer, où est notre humanité?", demande Teungku Faisal Ali, président de la branche provinciale de cette organisation.
Pour Steve Hamilton, chef adjoint de la mission de l'OIM en Indonésie, la réaction des habitants d'Aceh n'est rien moins que "fantastique", mais pas surprenante au regard de leur passé de souffrances.
"Ils ont vécu eux-même des tragédies", dit-il à l'AFP. "Aceh comprend vraiment ce que cela signifie de tout perdre".
20 mai 2015,Romeo GACAD
Source : AFP