dimanche 24 novembre 2024 01:51

FIDADOC 2015 : 50 ans d'immigration marocaine en Belgique

Le 17 avril 1964, la Belgique concluait avec le Maroc un accord bilatéral de recrutement de main d'œuvre pour développer l'économie marocaine. A l'occasion des 50 ans de cet accord, le Festival international de documentaire d'Agadir a programmé trois films produits par la Belgique sur ce sujet.

Ils sont nombreux les pays d'Afrique à avoir envoyé de la main d'œuvre en Europe durant les Trente Glorieuses. Souvent illettrés ou de faible condition sociale, les travailleurs trouvaient là un moyen de gagner leur pain et envoyer de l'argent à la famille restée au pays. Pendant plusieurs années, un turn-over s'opérait où le cousin remplaçait le frère en Europe. Les travailleurs ont pu faire venir leur femme et leurs enfants. Puis les lois se sont durcies. Et ce qui était prévu comme un séjour de courte durée s'est transformé en séjour longue durée, voire, à vie.

Rêves du passé

Que dire de la descendance de ces immigrés, tiraillée entre appartenance à l'Europe - dans ce cas précis, la Belgique - et la reconnaissance des valeurs et de la culture de leurs parents ? C'est justement par cet intéressant point de départ d'être ici ou là et de se projeter quelque part que la réalisatrice Faïza Boumédian signe le beau Que sont-ils devenus ? Nos rêves...

Tombant sur des archives de la RTBF, cette réalisatrice de la télévision belge découvre des enfants marocains qui, dans les années 1970, sont interviewés et racontent ce qu'ils aimeraient faire plus tard. Retrouvant trois hommes interviewés à l'époque, Faïza Boumedian signe un portrait de l'Histoire de l'immigration marocaine en Belgique de 1964 à nos jours. "J'ai été touchée par ces images d'enfants de 8/10 ans, racontait la réalisatrice, née en Belgique de parents marocains, à l'occasion d'une projection à Agadir. Je voulais savoir ce qu'ils étaient devenus. J'ai porté ce projet comme une urgence : après deux ans de recherche, j'avais peur que les personnes m'abandonnent".

La mise en abîme des rêves d'enfants et de la réalité des adultes qu'ils sont devenus est impressionnante. "Au Maroc, on vivait bien, on avait tout", regrette l'un des protagonistes du film. "Quand vos parents vous prennent et que vous êtes jeunes, vous en pouvez pas dire non". Révélant l'impossibilité de choisir lorsqu'on est enfant, ce documentaire fait également un état des lieux de la Belgique de l'époque, mettant en avant des archives qui soulignent à la fois l'analyse des instituteurs de l'époque "peut-être qu'il aurait fallu plus de réunions avec les parents et des traducteurs"; les chefs d'entreprise "nous avons tout fait pour trouver de la main d'œuvre" ; des interviews de passants méfiants à l'égard des immigrés et d'autres points de vue, comme celui d'un architecte devenu poète : "Les immigrés se réunissaient pour retrouver le lien qu'ils avaient perdu. Ce qui n'est pas normal, c'est que générations suivantes soient toujours dans des ghettos". Non sans rappeler Soleil O de Med Hondo, tourné en France dans les années 1970, Que sont-ils devenus ? Nos rêves... est un travail de mémoire nécessaire et astucieux par son parti pris de montrer à des adultes les archives de leurs avis d'enfants.

Les petites maisons

Dans la même logique de réappropriation de la parole et des rêves, le court-métrage Les petites maisons s'intéresse cette fois-ci à des femmes, pour la plupart mères de famille, des maisons de quartier de Bruxelles.

Réalisé avec l'équipe du Centre Vidéo Bruxelles (CVB) - Vidéo Éducation Permanente (Videp), ce film d'atelier où les femmes se sont emparées de la caméra et du micro est avant tout un film sur l'émancipation de la femme plus qu'un témoignage sur les 50 ans d'immigration. "Les commémorations ont été importantes mais le Centre Vidéo de Bruxelles n'a pas attendu cet événement pour travailler avec les migrants du Maroc ou d'ailleurs, expliquait le coordinateur de l'atelier, Christian Van Cutsem, durant le FIDADOC. Le cinéma doit accueillir le savoir-faire des gens qui ont envie de faire et d'exprimer des choses".

Au travers de ce film, des femmes peu habituées à la caméra témoignent de leur passé (celle qui rêvait d'être mécanicienne, celle qui a accouché d'un enfant mort-né). Et la parole se libère progressivement, faisant état, sans ambages, du présent : "Je crois que c'est ici notre pays. Le Maroc, c'est les vacances", témoigne l'une des participantes. "Aujourd'hui, si elle a envie de dire merde à son mari, elle lui dit", affirme une autre.

Par le biais d'une technique où les mains sont mises en avant plutôt que les visages, les corps apparaissent, finalement, au fur et à mesure du film, en même temps que la parole se libère, prouvant qu'avec Les petites maisons, les femmes du CVB-Videp ont réussi à apprivoiser la caméra pour se conter comme elles l'entendent.

Patience, patience, t'iras au paradis

Film de clôture du FIDADOC 2015, Patience, patience, t'iras au paradis de Hadja Lahbib, présentatrice à la RTBF, aborde quant à lui la seconde vie de plusieurs mères de famille - dont celle de la réalisatrice - qui décident de prendre des cours d'alphabétisation et de faire ce dont elles ont envie, sous l'impulsion de Tata Milouda, la slammeuse marocaine vivant en France.

Suivant les pérégrinations de ces femmes d'un certain âge, Hadja Lahbib les amène dans la campagne puis aux États-Unis, à la découverte d'elles-mêmes. "Ces femmes sont les grandes oubliées de l'immigration marocaine, rapportait Hadja Lahbib à Agadir. Elles ont suivi leur mari en croyant revenir ici mais elles ne sont bien nulle part, chez elles nulle part".

Avec humour et dérision, ces femmes qui se sont sacrifiées toute leur vie pensent enfin à elles et revendiquent leurs droits à l'émancipation après avoir suivi leur mari cinquante ans plus tôt en Belgique puis consacré leur vie à l'éducation de leurs enfants et la gestion du foyer.

A l'occasion du FIDADOC, ces trois films nous ont donné à voir l'incroyable nécessité de combler les lacunes de la transmission familiale par le biais du cinéma. Et la magie de pouvoir montrer ces images dans le pays d'origine que beaucoup ont quitté. Car comme l'écrivait écrivait une femme dans le film Les Petites maisons : "La première génération a eu de l'argent, la deuxième a eu des papiers, la troisième a des histoires à raconter".

26|05|2015, Claire Diao

Source: africultures.com

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