dimanche 24 novembre 2024 01:45

Europe : "Ces courants migratoires sont naturels"

Professeur de sociologie à Sciences po, l'Italien Ettore Recchi est un spécialiste de la circulation des personnes en Europe. Il relativise la poussée actuelle et ses effets.

Face à l'ampleur des actuelles vagues de réfugiés, l'Europe se retrouve-t-elle dans une situation inédite?

Non. En vérité, l'Europe est dans une situation d'urgence permanente. Chaque printemps, depuis quelques années, nous voyons se reproduire une situation identique aux mêmes endroits et aux mêmes moments, et nous faisons preuve de myopie en négligeant les questions structurelles derrière la force des images. Nous vivons dans un continent relativement aisé et pacifié, alors qu'une partie de l'Afrique fait face à des conditions désespérées. Ces courants migratoires sont donc naturels. 

Mais l'année 2014 voit bondir de 44% le nombre des demandes d'asile dans l'Union européenne par rapport à 2013!

Cela correspond à une circonstance particulière : l'effondrement du régime libyen. Jusqu'à la chute de Kadhafi, les Européens payaient rubis sur l'ongle le contrôle à distance de cette frontière. Ce n'est plus le cas. 

Les opinions publiques en Europe ne sont-elles pas proches d'un "seuil de tolérance" dans la capacité d'accueil de populations extra-européennes?

La conjonction de la poussée migratoire actuelle et de la situation économique difficile dans le sud de l'Europe est défavorable et explique la stigmatisation qui frappe les derniers arrivés. C'est un mécanisme de marginalisation somme toute classique. 

Mais le nord de l'Europe aussi se crispe...

Oui. Même le prospère Danemark, pourtant en tête des palmarès internationaux des pays où il fait bon vivre, se range parmi les Etats les plus hostiles à l'arrivée de nouveaux venus ! Il faut y voir un mécanisme de défense, une sorte d'égoïsme du bonheur. Ne sousestimons pas, toutefois, le choc qu'ont pu produire dans ces sociétés des épisodes comme l'assassinat du cinéaste néerlandais Theo Van Gogh à Amsterdam [en 2004, par Mohammed Bouyeri, au nom de la défense de l'islam] ou les violences qui ont suivi la publication, en 2005, de caricatures de Mahomet.  

Ceci dit, il faut signaler, car on l'ignore souvent, que dans les pays de Scandinavie, dotés d'Etats providences très protecteurs, les statistiques prouvent que les immigrés ne bénéficient pas autant que les natifs des droits sociaux. Pour des raisons linguistiques notamment, la fracture sur l'accès aux mécanismes de solidarité collective y est plus forte qu'en France ou qu'en Allemagne. 

Vous y voyez un risque?

Oui, celui d'un double rejet. Les étrangers s'enferment dans un ghetto et les natifs sont heureux de les tenir à distance. 

En Italie, on a récemment entendu des déclarations franchement xénophobes...

Il y a des manifestations de racisme, mais ce qui me frappe surtout, c'est la solidarité à l'oeuvre. Les migrants débarquent dans les régions les plus pauvres du pays, en Sicile, en Calabre. L'économie de l'île de Lampedusa a été dévastée. Pourtant, on n'y constate pas de réaction violente. Les enquêtes d'opinion indiquent que moins de 20% des Italiens rangent l'immigration parmi leurs préoccupations principales. Ce qui touche à l'économie les alarme beaucoup plus. 

L'origine de plus en plus lointaine des nouveaux arrivants ne complique-t-elle pas leur intégration?

L'augmentation des demandes d'asile n'est pas aussi importante que l'installation d'Européens dans un autre pays de l'Europe. Mais, oui, ces populations sont plus variées, et donc la question de leur répartition devient plus importante. J'hésite, mais je me demande si la stratégie d'intégration la plus raisonnable ne serait pas de prendre en compte les facteurs culturels et, par exemple, de diriger les Maghrébins vers la France et les Africains anglophones vers le Royaume-Uni. 

Les deux anciennes puissances coloniales... Un peu injuste, non?

D'autres pays à faible densité de population, comme la Finlande, ou dotés d'une économie solide, comme l'Allemagne, pourraient aussi accueillir davantage d'immigrants. 

Un accord européen peut-il être trouvé sur les quotas?

Moins on parle de ces questions, plus on les résout facilement. C'est lorsque les médias détournent leurs projecteurs que l'on parvient à une solution. 

29/05/2015, Jean-Michel Demetz

Source : lexpress.fr

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