dimanche 24 novembre 2024 02:15

Les crèches sauvages en Israël, enfer des enfants africains

C'est l'heure de la sieste dans une crèche sordide du sud de Tel-Aviv. Un tube pop s'échappe par la minuscule fenêtre, couvrant les cris et les pleurs de dizaines d'enfants et bébés entassés à l'intérieur.

La garderie que tient Felizia, corpulente Ghanéenne, fait partie des dizaines d'établissements semblables de la ville israélienne dans lesquels se serrent les petits d'immigrants illégaux africains qui doivent aller travailler.

Les conditions sanitaires y sont telles qu'ONG et journaux parlent "de dépôts d'enfants".

Cinq bébés de quelques mois y sont morts depuis le début de l'année, dans un pays pourtant aux standards occidentaux. Des dizaines d'autres ont succombé les années précédentes, par négligence ou défaut de soins adaptés, disent les organisations spécialisées dans l'aide aux demandeurs d'asile.

Ces crèches ou garderies ne sont pas véritablement clandestines, et auraient même plutôt pignon sur rue.
Mais elles échappent à la supervision des autorités qui ne les ferment pas car elles sont la seule solution abordable pour les immigrants, dit Maya Peleg, directrice de l'Unitaf, organisation que finance la mairie et qui met en place des crèches et garderies alternatives financièrement accessibles.
Si les autorités en ferment une, une autre ouvre ailleurs. La demande est forte. Les illégaux n'ont pas accès au réseau de crèches contrôlé par les autorités.

 140 euros par mois

Une activité parallèle a ainsi vu le jour.

"Ces structures sont avant tout un business pour les femmes qui les dirigent, en majorité en provenance d'Afrique de l'Ouest", note Mme Peleg.

Selon l'ONU, Israël abrite 53.000 réfugiés et demandeurs d'asile, dont 36.000 Erythréens et 14.000 Soudanais. La plupart sont entrés illégalement via le Sinaï égyptien en Israël, seul pays pour eux ayant un niveau de vie élevé accessible à pied.

Israël peine à gérer la situation des demandeurs d'asile et n'accorde le statut de réfugié qu'au compte-gouttes, laissant l'immense majorité en marge de la société.

Les frais de garde mensuels d'un enfant en bas âge - dans une crèche ou chez une puéricultrice à domicile - sont d'au moins 600 euros, une somme astronomique pour les immigrés qui vivotent de petits boulots dans une précarité totale.

Chez les "baby-sitters", ils ne reviennent qu'à environ 140 euros. Le but est "de travailler le plus d'heures possible, de garder le maximum d'enfants en employant le moins possible de personnel et en dépensant le moins possible pour la nourriture et les équipements", selon Mme Peleg.

Environ 80 crèches de ce type accueillent environ 3.000 enfants de moins de trois ans, rien qu'à Tel-Aviv, dit-elle.

Biberons sales dans des bassines, cartables, jouets jetés en vrac dans des sacs en plastique encombrent l'entrée de la garderie de Felizia.

Une dizaine de bébés de quelques mois occupent des berceaux alignés dans une pièce. Plusieurs d'entre eux pleurent, debout, accrochés aux barreaux de leur lit, sans attirer l'attention de Felizia ni de sa jeune assistante, venue aussi du Ghana.

Une odeur âcre de couches sales règne dans la pièce d'une dizaine de mètres carrés, également occupée par une dizaine d'enfants d'un an ou deux agglutinés par terre, les yeux rivés sur un téléviseur.

 Retards parfois irréversibles

Dans la deuxième pièce, à peu près de la même taille, sont rassemblés une vingtaine d'enfants de 6 à 9 ans devant une autre télévision.

Selon Maya Peleg, les enfants en bas âge ne sortent parfois pas de leur berceau de la journée.

"Le nombre d'adultes étant insuffisant pour leur donner le biberon individuellement, il arrive parfois qu'on leur attache une bouteille autour du cou calée avec un coussin. C'est comme ça qu'un bébé est mort récemment, étouffé", explique-t-elle.

Après plusieurs mois, voire plusieurs années chez ces "baby-sitters", "les enfants souffrent de retards de développement parfois irréversibles", déplore Yaël Meïr, chercheuse en psychologie à l'université de Tel-Aviv, co-auteur d'une étude sur l'impact de ces "dépôts d'enfants".

"Le manque de stimulation affecte leur développement à tous les niveaux -moteur, social, cognitif, affectif- ce qui les handicape notamment lorsqu'ils commencent à être scolarisés, et ils doivent souvent être placés dans des structures spécialisées", dit-elle.

Après la mort des bébés en 2015, le gouvernement s'est décidé à allouer 56 millions de shekels (environ 12,8 millions d'euros) sur quatre ans pour la construction de crèches sur le modèle de celles de l'Unitaf.

Pour Mme Peleg, "c'est une somme non-négligeable, mais le vrai test sera de voir si elle permettra de construire assez de crèches pour fermer définitivement les 'baby-sitters'".

02 juin 2015,Delphine MATTHIEUSSENT

Source : AFP

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