vendredi 22 novembre 2024 15:15

L'autre débat sur l'identité vu du côté des Pays-Bas

Il est des conférences de presse extrêmement révélatrices, véritable baromètre d'une relation au beau fixe ou au contraire d'une relation en tension. Celle donnée ce mardi, par M. Amer ministre délégué chargé de la Communauté marocaine et Eberhardt Van Der Laan ministre néerlandais de l'Intégration, du logement et des quartiers était instructive à cet égard car les Pays-Bas sont actuellement un véritable «laboratoire » en matière de stratégie européenne de l'émigration. En d'autres terme, chaque mesure prise dans ce pays pourrait être rapidement dupliquée par les autres Etats membres de l‘Union Européenne.

D'où la «raison gardée »et une extrême vigilance des autorités marocaines en général et d'un M. Amer en particulier, resté sur ses gardes durant toute la conférence, défendant au mieux les intérêts de la communauté marocaine résidant dans ce pays ,face à un redoutable argumentaire du ministre néerlandais. Pour mieux comprendre cet état d'esprit, sans doute faut-il revenir à la nature même du pays et des Néerlandais eux-mêmes. Beaucoup confondent les Pays-Bas avec la Hollande qui n'est qu'une région de ce pays et dont le nom est plus qu'un symbole. C'est en fait une réalité physique, le pays est situé «en bas», sur une faible altitude, et plus d'un quart se trouve au niveau de la mer, parfois en dessous de celui-ci. Pour protéger le pays des inondations, pour lutter contre la férocité de la nature des travaux titanesques ont été réalisés et des digues ont été construites.La terre a été gagnée sur la mer et aujourd'hui d'immenses serres de plantes et de fleurs coupées, notamment ces fameuses tulipes, font la réputation de ce pays, à l'instar du fameux fromage Gouda.

Pour comprendre les «néerlandais» qui sont peu nombreux, à peine quelque 16 millions d'habitants, rien de mieux que la géographie et ses contraintes qui ont façonné les hommes et les femmes de ce pays, rigoureux, travailleurs, solidaires. Cette nature où il fallait survivre a également façonné le système politique et social, l'un des plus avancé d'Europe, fondé sur l'équité sociale et sur une véritable tradition de «welfare state». En témoigne la première loi sociale datant de 1800 fondée sur une idée simple : donner à chaque citoyen les moyens de se réaliser et faire mieux pour ceux qui ont le plus besoin.

Durant ces dernières décennies les émigrés marocains ont pu profiter de cette philosophie et ont pu s'intégrer comme l'a souligné Mr Amer en faisant des progrès considérables dans le domaine du sport de la politique, des arts…L'exemple le plus célèbre mais il n'est pas le seul étant celui du maire de Rotterdam, Mohamed Boutaleb ou celui de Fouad Laroui, professeur d'économie à l'université d'Amsterdam et romancier à ses heures. Une forte communauté de marocains ayant émigré dans les années 50 et 60 du Rif et de l'oriental, soit prés de 300 000 personnes ont vécu aux Pays-Bas dans une grande discrétion jusqu' à ces dernières années avant d'être propulsés sous les feux de la rampe à la défaveur d'un acte d'une extrême violence, l'assassinat d'un réalisateur connu pour ses positions anti-islamqiues.

Cet acte des plus condamnable dans un pays où la liberté est érigée en principe de vie a fait remonter une violence inouïe : incendies de mosquées et d'églises, radicalisation de part et d'autre, montée de l'extrême droite et des extrémismes sous toutes ses formes portés par la peur et la haine de l'autre, l'étranger. Depuis les mesures du gouvernement hollandais se sont multipliés : tentatives d'imposer des contributions exorbitantes pour la couverture sociale, tentative de répondre à une requête parlementaire et d'interdire la double nationalité aux ressortissants marocains résidant dans ce pays», autant de mesures qui conduiraient à dénouer les liens juridiques, culturels et spirituels de cette communauté avec son pays d'origine. Et donc d'augmenter le déracinement, les problèmes d'identité et in fine les problèmes d'intégration et de délinquance étant entendu comme le répète M. Amer que seuls ceux qui savent d'où ils viennent peuvent se frayer un chemin de vie».

Que faire face aux chocs des civilisations ?

Lentement, laborieusement et grâce à un dialogue constructif, des « bombes » ont pu être désamorcées. Les retraités marocains rentrés au pays n'auront à payer qu'1% de ce qu'ils auraient payé s'ils étaient restés aux Pays-Bas. De l'autre coté et face au rejet catégorique du gouvernement marocain qui a estimé que la perte de la nationalité marocaine d'origine ne peut être autorisée qu'à titre exceptionnel et par décret seulement, en fonction de paramètres et de critères objectifs, basés sur le respect de la légitimité religieuse ancestrale et de la légalité politique et juridique»,le débat sur l'interdiction de la double nationalité a été dépassé. Reste les questions profondes de désaccord, importantes il faut le reconnaître, qui peuvent dit le ministre néerlandais créer des obstacles à l'intégration. La première question est celle du libre choix donné à chaque individu de choisir son nom berbère ou autre. La demande est fondée et Mr Amer de déclarer qu'il n'y avait pas de listes de noms interdits. Reste cependant à assumer les conséquences jusqu'au bout, notamment en termes de droit successoral. Même chose quant au libre choix dans le mariage : pour répondre à une question saugrenue d'un journaliste néerlandais qui assurait que les Maroco-Néerlandais venaient se marier au Maroc pour chercher des « femmes de ménage » en lieu d'épouses, M. Amer a répondu que la question de mariage était une question personnelle et que le gouvernement marocain n'avait évidemment pas droit de regard sur ce choix.

Autre point d'achoppement, la question du transfert de l'argent était également au menu des discussions : faut-il, déclare le ministre néerlandais, qu'une famille achète un ordinateur pour son enfant ou transfère l'argent pour acheter une maison ? D'autre part quelle est actuellement le degré de réciprocité du transfert d'argent ? Un immigré qui hérite de ses parents peut il transférer son argent librement aux Pays- Bas ? Autre problématique de fond, l'apprentissage des langues. Celle du néerlandais est bien sûr prioritaire car déclare Mr Van Der Laan, « on ne peut pas rester une jambe au Maroc et l'autre aux Pays-Bas ». Qu'en est-il de l'apprentissage de l'arabe ? Le ministre néerlandais a opposé un niet catégorique quant à un éventuel soutien « son pays, dit-il, ne prendra aucune charge dans ce sens ». C'est aux pays d'origine d'organiser des cours, chaque pays étant libre de créer des centres culturels dédiés à cet usage.

Source : Le Matin

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