Ils sont plus d’un million en France et le débat sur l’identité nationale française les fait réagir. Parfois indignés, souvent inquiets, ils s’interrogent au sujet d’une certaine France qui a du mal à accepter la pluralité.
Qu’ils soient célèbres ou anonymes, de parents marocains ou franco-marocains, nés en France ou immigrés plus tardivement pour terminer des études ou travailler, les binationaux que nous avons interrogé réagissent tous au sujet de l’identité nationale.
Ce débat, lancé officiellement à l’automne par le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale Eric Besson, et qui devait porter sur “l’apport de l’immigration à l’identité nationale française”, a en fait très vite évolué vers des échanges centrés essentiellement sur la question de l’islam et de l’immigration en France.
Il a donné lieu aussi à plusieurs dérapages, plus ou moins volontaires, de la part d’élus de la République au sujet des musulmans. Pire, d’autres sujets tels que la mission d’information parlementaire sur la burqa ou la question des minarets en Suisse sont venus ajouter encore un peu plus de confusion.
Au final, le gouvernement a préféré clore le sujet en mode mineur, et limiter les dégâts provoqués par un débat dont il n’a pas mesuré le côté passionnel et finalement contreproductif. En effet, les enquêtes d’opinion prédisent une défaite de la majorité pour les prochaines élections régionales des 14 et 21 mars prochains. S’il s’agissait d’une manœuvre pour attirer les faveurs de l’opinion, c’est plutôt raté…
Mahm Elmamoun, 50 ans, journaliste à France Télévision (Paris): “Manœuvre purement politicienne”
Le débat sur l’identité nationale a été très mal engagé. Il aurait fallu rassembler des personnalités qualifiées pour leur connaissance du sujet. Au lieu de cela, on a laissé tout le monde – et n’importe qui – déposer des messages sur un site Internet.
J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’une pure manœuvre politicienne pour capter les électeurs d’extrême droite à la veille des élections régionales. S’il avait été sincère dans sa volonté de parler du sujet, le gouvernement aurait lancé ce débat après les élections.
Moi, je ne suis pas opposé à un tel débat, mais la tournure qu’il a pris a pu déstabiliser certaines personnes moins à l’aise avec la double culture. Ce qui n’est pas mon cas : je me sens autant Marocain que Français. Même si je suis arrivé en France tout petit, et que j’y ai fait ma vie, je vais très souvent au Maroc, parfois même pour un week-end. Je me sens bien dans mes deux pays.
Fatine Agounan, 21 ans, étudiante (Dijon) : "L’important, c’est la compétence des personnes et rien d’autre !"
Je suis née en France de parents marocains et je me suis toujours sentie comme tout le monde en France. Jamais je n’ai été victime de discrimination ou de racisme. Toutefois, mon sentiment a un peu changé après le débat sur l’identité nationale et tout ce que l’on a pu lire ou entendre sur ce sujet.
Désormais, j’ai l’impression de ne pas être comme tout le monde, d’être différente de la plupart des Français. C’est surtout un problème pour mes copines qui portent le foulard. On sent que les gens les regardent de travers, comme si leur tenue était une provocation. J’ai vécu quelques temps aux Etats-Unis, et en dépit des attentats du 11 septembre, les Américains semblent plus tolérants quant à la façon de s’habiller. On voit énormément de femmes voilées et qui travaillent un peu partout. Ce qui est important, c’est la compétence des personnes, pas leur façon de s’habiller.
Kenza Ibnattaya, 22 ans, étudiante en école de commerce (Paris): "L’identité nationale est impossible à définir"
Je ne me suis pas du tout sentie concernée par ce débat, tout simplement parce que je pense qu’il est impossible de définir ce qu’est l’identité nationale française. D’ailleurs, le débat s’est terminé sans avoir débouché sur une réponse claire. Je pense qu’il a surtout permis de donner de l’importance à des événements qui n’auraient pas été si médiatisés, telle que l’affaire des minarets par exemple.
Cela fait seulement 3 ans que je suis installée en France, mais je ne me sens pas dépaysée, je suis française par ma mère et marocaine par mon père. J’ai donc toujours été habituée à la double culture, et les gens qui m’entourent voient cela plutôt comme une richesse. Même si des clichés persistent, j’ai l’impression que l’Etat et les associations luttent activement contre le racisme et la discrimination.
Maurice Arama, 75 ans, historien d’art (Neuilly sur Seine): “Il y a des sujets tellement plus importants à traiter”
Je suis arrivé en France en 1962 en même temps que les rapatriés d’Algérie, à une époque où il n’était pas facile de s’intégrer. Je pense que c’est important de se conformer aux traditions du pays d’accueil et ne pas se comporter d’une façon qui puisse choquer ceux qui vous reçoivent. Il s’agit d’une affaire de respect mutuel. C’est pourquoi je suis complètement d’accord avec l’idée d’interdire un vêtement tel que la burqa en France.
Pour moi, l’important a toujours été de donner une image positive du Maroc à l’étranger. Nous sommes ses ambassadeurs. Il faut aussi valoriser ce que nous avons en commun entre nos deux pays. Tout au long de ma carrière, j’ai voulu mettre en avant ce qui nous réunissait, et qui n’était pas toujours connu, comme par exemple l’apport du Maroc à l’œuvre d’artistes tels qu’Eugène Delacroix, Raoul Dufy ou Pierre Loti.
Abdel Alaoui, cuisinier et animateur télé (Paris): " Il y a des sujets tellement plus importants à traiter"
Il y a beaucoup de beurs ou d’Africains talentueux mais ils ne sont pas toujours mis en avant, et c’est dommage pour la France qui a tout à y gagner. Certaines personnes m’envoient des messages pour s’étonner de mon accent, je crois qu’ils ne sont pas prêts à voir un beur faire une blanquette de veau à la télé. Il y a quelques années, j’étais très souvent contrôlé dans les transports en commun, et je sais que ce n’était pas le cas des autres Français. Aujourd’hui, les choses changent, notamment dans les professions artistiques. Mais un débat tel que celui que nous avons connu récemment peut faire des dégâts, certains peuvent se sentir stigmatisés. L’affaire de la burqa, pour moi, ce n’est pas sérieux. Il n’y a pas besoin de faire une loi. Il y a des sujets tellement plus importants à traiter !
Source : Aufait