Moins de trois mois après la bronca des professeurs d'histoire, offusqués de voir leur discipline devenir optionnelle en terminale S, les historiens reprennent le chemin des blogs et des pétitions pour alerter l'opinion publique et dénoncer une dérive "européano-centriste".
Objet de leur ire, le projet de nouveau programme d'histoire pour la classe de seconde, qui ferait la part belle à l'Occident chrétien, au détriment de l'étude de la civilisation musulmane.
Indices fournis : l'enseignement intitulé "La Méditerranée au XIIe siècle : carrefour de trois civilisations", qui aborde "les espaces de l'Occident chrétien, de l'Empire byzantin et du monde musulman" devrait être remplacé à la rentrée prochaine par un nouveau thème, "La civilisation rurale dans l'Occident chrétien médiéval, du IXe siècle au XIIIe siècle".
Certes, une partie de ce nouveau programme abordera l'histoire de "Constantinople à Istanbul : un carrefour de civilisations". Mais pour le secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire géographie (APHG), Hubert Tison, il s'agit d'"une fausse compensation. Elle permet de parler de la prise de la ville par l'Empire ottoman, mais pas de couvrir les contacts entre l'Occident chrétien, Bysance et le monde musulman".
L'APHG va prochainement demander au ministère de modifier l'intitulé du nouveau programme "afin de permettre de traiter des contacts entre l'Occident chrétien et le monde islamique".
Hubert Tison, qui ne comprend pas les raisons de ce changement, se demande si le projet "vise à rétablir le christianisme ou à évacuer la contestation quand on parle de l'islam dans certains lycées".
Au ministère, on répond qu'"il s'agit d'un projet de programme en consultation jusqu'au 12 mars" et l'on assure qu'"il sera tenu compte des remarques qui remonteront".
"TROP RAPIDEMENT RÉFLÉCHI"
Sur le fond, on ajoute que "dans les anciens programmes, le thème de la Méditerranée au XIIe siècle était facultatif, alors que, dans les prochains, l'étude de "Constantinople à Istanbul : un carrefour de civilisations" est obligatoire. De plus, il y a des ouvertures sur l'étude de Pékin et sur la capitale aztèque de Tenochtitlan, actuelle Mexico".
Doyen des inspecteurs généraux d'histoire (IG), Laurent Wirth estime que l'on fait au ministère "un mauvais procès, à moins de considérer que l'islam ottoman ne fait pas partie de l'islam".
Quant au fait de critiquer un projet qui serait "européano-centriste", l'inspecteur s'offusque et "demande si maintenant le mot européen est devenu une insulte" ?
Pas de quoi convaincre Dominique Borne, président du conseil de l'Institut européen en sciences des religions (IESR). Pour lui, cette façon de botter en touche "n'est pas raisonnable. Pékin ou Tenochtitlan en une heure, ce n'est pas de l'"ouverture", c'est juste de l'affichage".
L'IESR a d'ailleurs écrit, mercredi 17 février, au ministre de l'éducation nationale pour que "ce programme, trop rapidement réfléchi, soit profondément revu dans son orientation d'ensemble".
Ancien doyen des IG d'histoire, Dominique Borne connaît bien les programmes actuels pour les avoir rédigés. "Ça ne me gêne pas qu'on les change, assure-t-il. Ce qui me choque, c'est que le religieux ait pratiquement disparu, sauf à être réduit à sa dimension exclusivement rurale, latine, catholique et médiévale. Si on décompose l'emploi du temps, cela fera environ une heure pour Byzance !"
Pour lui, le risque c'est qu'"on ne traite pas du religieux sérieusement, comme des autres disciplines", et que cela fait émerger "des revendications en faveur d'un enseignement religieux spécifique".
Source : Le Monde