samedi 23 novembre 2024 20:56

Sur la trace des migrants portés disparus en Europe

Depuis le 20 août, sa famille est sans nouvelles. Mohammed Abu Khaled, un Syrien de 64 ans, est l'un des nombreux migrants portés disparus sur la périlleuse route de l'exode vers l'Europe du Nord.

Fine moustache blanche, qui contraste avec une peau tannée, Mohammed arbore un léger sourire sur la photo publiée sur une page Facebook dédiée à la recherche de réfugiés disparus. A côté, ce texte: "Mohamed Abu Khaled (64 ans), Syrie. Il était en route pour une île grecque. Dernier contact: 20/08/2015".
Comme lui, de nombreux migrants se sont retrouvés séparés de leurs proches pendant leurs périlleuses traversées par mer ou alors qu'ils tentaient désespérément de monter dans des trains ou des bus durant leur voyage à travers les Balkans de l'Ouest.

"Nous sommes un peu dépassés par la situation", admet Wilhelm Odde, en charge du département des personnes disparues de la Croix-Rouge internationale.

Plus de 360.000 personnes, la plupart des Syriens fuyant le conflit sanglant dans leur pays, ont débarqué en Grèce depuis le début de l'année, d'où elles entreprennent un voyage épuisant jusqu'à la Hongrie, pays de transit vers les Etats riches et sûrs de l'Europe du Nord.

 'Hussein est tombé à l'eau'

Le nombre exact des personnes disparues est difficile à évaluer pour les organisations humanitaires, confrontées à la plus grande crise migratoire en Europe depuis la deuxième guerre mondiale.

"Nous avons à faire à des gens qui se déplacent très rapidement", explique M. Odde. Il est possible qu'ils signalent la disparition d'un proche à un endroit, qu'ils quittent ensuite très vite. "Il est très dur de suivre leur trace", ajoute-t-il.

Même ceux qui disposent de smartphones ou de tablettes -et ils sont nombreux- sont difficiles à joindre car il y a peu d'opportunités de recharger les batteries ou de trouver du Wifi gratuit en chemin.
Originaire de Damas, Mohammed Abu Khaled, vivait dans un camp en Jordanie, où les conditions de vie sont rudes.

Il a disparu le jour où il devait traverser la mer d'Izmir en Turquie vers l'île grecque de Lesbos, d'où il voulait continuer jusqu'au Danemark, lieu de résidence de son fils Khaled Abu Khaled.

Il voyageait en compagnie d'un proche, qui l'a laissé un moment sur la plage. Mais à son retour, Mohammed avait disparu.

"Des passeurs lui ont dit qu'il était arrivé à Lesbos. Je ne sais pas si c'est vrai ou non", déclare son fils joint par téléphone. "Mon père est un homme âgé, je n'ai jamais voulu qu'il fasse ce voyage. Mais nous n'avions pas le choix".

Saskia Schwaiger, une bénévole arabophone qui officie comme interprète dans les principales gares de Vienne, raconte avoir entendu d'innombrables histoires similaires, dont certaines particulièrement poignantes.

Elle se souvient d'une petite fille irakienne, âgée de 4 ou 5 ans, qui, au milieu de son récit sur son voyage en bateau, lui a dit: "Hussein est tombé à l'eau"."Je ne sais pas qui était Hussein, mais les enfants ont plein d'histoires" de ces terrifiantes traversées par mer, dit-elle.

 Des centaines de photos

Les pages Facebook mises en place par les organisations humanitaires sont nombreuses, toutes remplies de photos de personnes séparées de leur famille pendant leur migration, et qui sont largement partagées dans les réseaux sociaux.

"Cet enfant se trouve dans un poste de police turc depuis 40 jours... S'il vous plaît, partagez", peut-on lire dans un post en dessous d'une photo d'un petit garçon à l'air apeuré, avec de lourds cernes sous les yeux.

Le site de la Croix-Rouge, "Retrouvez ce visage", a publié 354 photos de personnes portées disparues.

Pour les bénévoles, les fins heureuses de retrouvailles sont souvent assombries par d'autres histoires tragiques.
M. Odde, de la Croix-Rouge, se souvient de deux frères syriens, de 10 et 14 ans, rencontrés en Grèce. Ils avaient perdu leur téléphone et le numéro de leur mère restée au pays, et s'inquiétaient de ne pas pouvoir lui dire qu'ils étaient sains et saufs.

Les bénévoles sur place leur ont donné une tablette pour leur permettre de prendre contact par Facebook. "Quand la page s'est ouverte, ils se sont mis à sourire, puis subitement leurs visages se sont décomposés et ils ont commencé à pleurer", raconte-t-il.

Sur la page, ils y avaient des photos de leur grand frère, couvert de sang, et des messages de condoléances.
"C'était lui qui les avait fait partir afin qu'ils puissent être en sécurité", dit M. Odde.

28 sept 2015,Marianne BARRIAUX

Source : AFP

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