Trois semaines, trois rapports sur la situation de la femme au Maroc! Pourvu que cet intérêt soudain persiste et ne soit pas, comme à l'accoutumée, nationale, une simple salve sans lendemain, tirée à l'approche de la Journée internationale de la femme, célébrée aujourd'hui 8 mars.
Les deux premiers rapports ont été présentés à l'occasion des travaux de la Commission des droits de la femme à l'ONU, qui ont eu lieu récemment à New York. Gouvernemental, le premier a été défendu par Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité. Le deuxième, qui est un rapport parallèle, fut présenté par les ONG marocaines actives dans le domaine des droits de la femme. Les deux rapports ont passé au crible la situation des femmes marocaines dans les villes et dans le milieu rural durant les dernières années.
Le rapport gouvernemental couvre la période 2004-2009. Une période qui, selon les responsables marocains, est caractérisée par l'intérêt accordé par les instances du pays à la promotion et la protection des droits de la femme. En effet, depuis l'adoption par le Maroc de la plate- forme de Beijing en 1995, des mesures ont été prises pour accélérer les réalisations dans les domaines prioritaires. Selon ce rapport, ces mesures ont respectivement porté sur le volet institutionnel ainsi que sur l'élaboration de politiques en faveur de la promotion des droits de la femme. Concrètement, les efforts déployés se sont traduits par de nombreuses réformes législatives en vue d'harmoniser l'arsenal législatif marocain avec les dispositions des instruments internationaux ratifiées par le Royaume en matière des droits humains. D'après le rapport, il s'agit principalement du code du travail, du code de la famille et de celui de la nationalité.
Outre les réformes législatives ayant pour but de renforcer l'égalité entre les hommes et les femmes, les auteurs citent les différentes initiatives pratiques mises en œuvres, notamment la stratégie nationale pour l'équité et l'égalité.
Manque de mécanisme de suivi
Le rapport met l'accent, par ailleurs, sur les efforts déployés pour l'institutionnalisation de l'approche genre. Dans ce sens, des plans d'actions sectoriels ont été créés par des départements ministériels pour donner effet à la stratégie nationale pour l'équité et l'égalité. Toutefois, les responsables reconnaissent que ladite stratégie manque d'un mécanisme de suivi. Le rapport passe en revue également les mesures prises par le gouvernement marocain afin de lutter contre la violence à l'égard des femmes.
Ainsi, le pays s'est doté d'une stratégie nationale en plus d'un plan opérationnel dans ce domaine. Un projet de loi incriminant la violence conjugale a été également élaboré par le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité. Une enquête de prévalence de la violence est actuellement en cours et dont les résultats sont prévus au mois de juin 2010.
Les difficultés qui perdurent toujours ont été également évoquées. Le rapport relève dans ce sens que des efforts restent toujours à déployer pour parachever la réforme des lois. Dans les domaines de l'éducation et la formation, les phénomènes de la déperdition scolaire, le redoublement ainsi que les disparités qui persistent toujours entre la scolarisation de la fille urbaine et celle rurale ont été pointés du doigt.
Concernant l'accès des femmes aux soins et aux services de santé, les responsables mentionnent les dysfonctionnements du système de santé qui entravent l'atteinte des objectifs de la stratégie nationale de la «santé pour tous», adoptée depuis les années 80 par les responsables marocains.
L'un des défis majeurs de la femme marocaine reste, sans nul doute, sa faible représentativité dans les instances politiques. Car en dépit de l'accès de la femme à différents secteurs, relève le rapport, sa représentation est en deçà des attentes. Les chiffres sont édifiants. Avant les élections de 2009, le taux de la représentativité féminine au niveau local ne dépassait guère 0,56%.
Rapport parallèle
De leur part, les organisations non gouvernementales marocaines ont réalisé un rapport parallèle qui offre, certes, plusieurs points de convergences mais qui met l'emphase sur de nombreuses insuffisances. Ledit rapport affirme que la féminisation de la pauvreté est un fait au pays. «La pauvreté féminine, selon le rapport des ONG, est accentuée par une grande vulnérabilité multiple et complexe liée à des discriminations fondées sur le genre qui perdurent toujours dans certains secteurs». Le rapport évoque notamment les cas des femmes rurales travailleuses qui continuent à être privées de leurs droits socio-économiques car leur travail n'a pas d'équivalent monétaire et donc non comptabilisé et demeure en dehors des statistiques.
De même, la coalition des ONG marocaines, ayant contribué à la réalisation du rapport, atteste que l'écart entre hommes et femmes en matière d'alphabétisation persiste encore. Toujours selon le même rapport, le phénomène de l'abandon scolaire touche principalement les filles, notamment dans le monde rural. En ce qui concerne le domaine de la santé, les taux de mortalité maternelle au Maroc demeurent anormalement élevés. Selon l'enquête sur la population et la santé familiale 2003-2004, le taux de mortalité maternelle avoisine les 227 cas par 100.000 naissances vivantes.
Selon le rapport des ONG, la réduction des trois quarts du nombre des femmes qui meurent durant la grossesse ou après l'accouchement, à l'horizon 2015, est une «visée caduque».
Pour les ONG actives dans les domaines de la promotion des droits de la femme, la société civile a, certes, été reconnue comme partenaire par le gouvernement, mais pour elles, ce partenariat demeure encore confus. La coalition des ONG marocaines, ayant contribué à la réalisation du rapport de suivi, affirme que «les actions propres aux 12 domaines vitaux des droits de la femme, qui constituent l'ossature de la feuille de route de l'implication des Etats, sont, certes, ébauchées à des degrés variés quant à l'état de leur avancement, mais elles sont insuffisantes à faire aboutir cette égalité de genre dans les délais préconisés, entre autres ceux des OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) en 2020».
Concernant le troisième rapport, il sera présenté dans quelques jours à Bruxelles (voir encadré) dans le cadre d'une table ronde régionale qui a pour but d'analyser la situation des droits de la femme et l'égalité entre l'homme et la femme dans la région méditerranéenne. Outre le Maroc, d'autres pays arabes seront présents, notamment l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, la Jordanie, le Liban, la Syrie ainsi que la Palestine.
Droits de la femme méditerranéenne
«Analyse de la situation des droits de la femme et l'égalité entre les hommes et les femmes dans la région méditerranéenne» est le thème d'une table ronde qui sera organisée du 15 au 17 mars à Bruxelles par l'EGEP (Programme régional Euromed égalité hommes-femmes). Les organisateurs veulent, à travers cette rencontre, consolider le rapport d'analyse de la situation régionale sur le statut de l'égalité entre les hommes et les femmes dans la région Euromed. Ils se sont également fixé l'objectif de trouver un accord sur les priorités et les stratégies régionales relatives à l'égalité entre hommes et femmes dans le cadre des conclusions des conférences ministérielles d'Istanbul et de Marrakech mais également de développer une base de planification participative et globale pour le programme EGEP dans les neuf pays partenaires.
Questions à: Rajaâ Berrada - Fathi • Membre du présidium de la FLDDF (Fédération de la ligue démocratique des droits de la femme).
«Nous concertons pour monter une coalition qui sera baptisée “Printemps de la Dignité''»
• Pourquoi le Maroc a présenté deux rapports lors de la 54e commission de l'ONU ?
Il fallait absolument présenter deux rapports. Le rapport présenté par la ministre a passé en revue tous les acquis du Maroc notamment dans le cadre des revendications de Pékin. Parallèlement, la société civile s'est déplacée également à New York pour parler de toutes les actions entreprises par le Maroc notamment l'entrée en vigueur du Code de la famille mais aussi pour parler des points de faiblesse.
Certes, le code de la famille fut révolutionnaire mais il connaît tout de même une certaine résistance de la part des acteurs qui sont des parties prenantes dans l'application du code.
Par ailleurs, la société civile marocaine est partie à New York avec des revendications nouvelles concernant la loi-cadre qui doit absolument criminaliser la violence.
• Quels sont les principaux défis à relever dans l'avenir ?
A mon sens, le premier défi concerne la scolarité qui doit réellement devenir obligatoire pour les petites filles. Il est vrai que l'enseignement est déjà obligatoire théoriquement dans la loi mais il doit le devenir concrètement à travers la mise en œuvre de moyens de suivi sur le terrain, voire même de pénalité. De même, il faut que le travail des enfants soit interdit réellement encore une fois. Par ailleurs, il faut que l'approche genre devienne un outil de travail adopté par tous les acteurs politiques et économiques. Je pense que c'est un défi énorme qui demande beaucoup de travail et surtout une implication de la part de tous les acteurs.
• Un mot sur le projet «Printemps de la dignité»?
Plusieurs associations œuvrant dans le domaine de la défense des droits des femmes sont actuellement en concertation pour monter une coalition qui sera baptisée «Printemps de la dignité». On parle actuellement d'une éventuelle réforme du code pénal. C'est pour cette raison que nous avons voulu saisir l'occasion pour formuler certaines recommandations concernant les femmes dans le code pénal pour criminaliser la violence.
Source : Le Matin