Accueillir 3 000 enfants livrés à eux-mêmes sur les routes de l’Europe ? Et qui pour certains d’entre eux ont des proches installés en Angleterre ? A priori, la proposition de loi du député britannique lord Alf Dubs semblait relever du service minimum humanitaire, en ces temps de crise migratoire. Examinée par la Chambre des communes à Londres, cette proposition a pourtant été rejetée lundi grâce au vote d’une majorité de députés conservateurs. Lesquels ont prétexté qu’un tel geste aurait offert «une incitation» et «un mauvais exemple» encourageant les mineurs isolés à quitter leur pays. «Une véritable honte nationale», se sont indignés les députés travaillistes et les humanitaires britanniques.
Mais c’est aussi le signe d’un aveuglement coupable. Croit-on vraiment que refuser ces enfants suffira à «décourager» un adolescent d’Alep à fuir les bombes ? Et surtout, pense-t-on réellement qu’il suffit de ne pas les accueillir, et donc de fermer les yeux, pour résoudre l’évident problème qui se pose à tous désormais : la présence concrète de ces enfants sur les routes de l’Europe, comme dans les camps de Calais ou de Grèce ? En janvier, l’Unicef évoquait déjà le chiffre alarmant de 10 000 mineurs dont on aurait perdu la trace depuis leur arrivée sur le sol européen. Sont-ils la proie de trafiquants ? Ont-ils simplement glissé dans une clandestinité bien précoce ? Personne ne le sait. La décision des députés britanniques rappelle «les heures sombres des années 30», a déploré de son côté le quotidien britannique The Guardian, qui évoquait mardi le fantôme de la conférence d’Evian en 1938, lorsque les pays européens invités à décider d’accueillir des réfugiés juifs d’Europe de l’Est, s’étaient quittés… sans rien trancher. Ce n’est peut-être pas un hasard si le rapporteur de la loi rejetée sur l’accueil des 3 000 enfants, lord Alf Dubs, est lui-même le produit de cette histoire : il est arrivé enfant à Londres (avec ses parents) en fuyant la Tchécoslovaquie à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Mais les leçons du passé semblent bien oubliées. En Autriche, où l’extrême droite part favorite pour le second tour de la présidentielle du 22 mai, un concept inédit a été inventé : celui «d’état d’urgence migratoire», adopté mercredi par les députés à une large majorité. Un principe qui permettra de bloquer tous les migrants aux frontières sans possibilité de demande d’asile, si «la sécurité de l’Etat est menacée» et après un vote au Parlement. Pour une durée de six mois renouvelable pendant deux ans. Les migrants sont donc désormais ouvertement considérés comme «une menace» qui peut justifier un rejet massif et sans distinction. D’ailleurs le droit d’asile lui-même a été restreint dans la foulée : il ne sera accordé que pour trois ans, à l’issue desquels l’heureux bénéficiaire pourra à nouveau être renvoyé chez lui.
Cette semaine, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est même inquiété de cette surenchère de mesures antimigrants en Europe. Une surenchère amorcée par la fermeture de la route des Balkans et l’accord du 18 mars avec la Turquie, qui a certes limité les arrivées de migrants par la mer, mais sans les arrêter, au prix d’un silence coupable sur les dérives d’un pays peu soucieux des droits de l’homme. Ecœurée par tant de cynisme, désespérée par le sort réservé aux enfants dans les camps démunis du nord de la Grèce, une bénévole notait cette semaine sur son blog : «A force de traiter les gens comme des chiens, ils se transformeront un jour en loups.»
28 avril 2016, Maria Malagardis
Source : Libération