mercredi 3 juillet 2024 16:23

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Stop­per l’af­flux des migrants en les bloquant en Libye

Cet été, des milliers de migrants vont encore essayer de gagner l’Eu­rope en traver­sant la Médi­ter­ra­née. Spie­gel Online a eu accès à des docu­ments confi­den­tiels qui révèlent que l’UE voudrait stop­per l’af­flux en les bloquant en Libye.

Des mesures dras­tiques pour stop­per l'afflux redouté de migrants en prove­nance d'Afrique du Nord sont en cours de prépa­ra­tion au sein de l’Union euro­péenne. Le Service euro­péen pour l'action exté­rieure (SEAE) a envoyé récem­ment un docu­ment interne aux États membres de l'UE, esquis­sant déjà un projet d’ac­cord avec le nouveau gouver­ne­ment libyen, qui dépasse celui conclu avec la Turquie. Spie­gel Online s’est procuré ce docu­ment de 17 pages. 

Les services de la haute repré­sen­tante pour les affaires étran­gères de l'UE, Fede­rica Moghe­rini, y détaillent comment un nouveau gouver­ne­ment libyen pour­rait stop­per la traver­sée des migrants vers l’Ita­lie. Dans le cadre d’une coopé­ra­tion avec l'UE, les auto­ri­tés libyennes pour­raient ainsi mettre en place des “centres d’ac­cueil tempo­raires pour migrants et réfu­giés ”. « Il faut aussi envi­sa­ger la créa­tion de centres de déten­tion », pour­suit le docu­ment.

Ces idées rappellent l’époque où l'UE coopé­rait avec le dicta­teur libyen Mouam­mar Kadhafi pour arrê­ter l'afflux de réfu­giés en Médi­ter­ra­née. On payait alors Kadhafi et on cour­ti­sait le despote pour qu’il empêche les bateaux de réfu­giés de rejoindre l’Ita­lie depuis les côtes libyennes. Kadhafi avait égale­ment construit des centres d’ac­cueil pour migrants. Qui étaient réel­le­ment des prisons.

200 000 candi­dats au départ

Les réflexions actuelles illus­trent  la façon dont l’UE veut verrouiller le deuxième grand axe de migra­tion après la route des Balkans. En novembre 2015, déjà, lors du sommet de La Valette, l’Union euro­péenne avait proposé de mettre en place des « centres migra­toires » en Afrique. Mais les Afri­cains n’avaient rien voulu savoir. Mi-avril, le Premier ministre italien Matteo Renzi s’est risqué à une nouvelle offen­sive. Une idée portée aussi par l'accord de l’UE avec la Turquie, qui a consi­dé­ra­ble­ment réduit l’af­flux de migrants – et est déjà consi­déré comme un modèle pour des accords simi­laires avec d'autres pays, en parti­cu­lier avec la Libye.

On s’at­tend à ce que cet été, de nombreux migrants tentent le périlleux voyage depuis la Libye vers l'Italie. On estime que 200 000 personnes attendent déjà en Libye pour partir. D’autres sources évoquent le chiffre d’un demi-million. Cette pers­pec­tive en affole plus d’un au sein de l’Union euro­péenne. Les ministres des Affaires étran­gères de l'UE se sont récem­ment réunis à ce sujet au Luxem­bourg. Il n’y a pour­tant pas été ques­tion des projets radi­caux pour rete­nir de force les réfu­giés en Libye. Mais, l'UE a déjà offert son soutien au gouver­ne­ment d’unité natio­nale qui s’est récem­ment consti­tué pour prendre pied dans le pays.

Pour l’ins­tant, le gouver­ne­ment diffi­ci­le­ment consti­tué du Premier ministre Fayez as-Sarraj est encore cloî­tré dans une base navale à Tripoli. Mais il  prend progres­si­ve­ment posses­sion des prin­ci­paux minis­tères. Les nouvelles équipes ont déjà reçu une visite de haut-rang de l’Union euro­péenne.  Le ministre des Affaires étran­gères alle­mand Frank-Walter Stein­meier et son collègue français Jean-Marc Ayrault ont effec­tué un voyage rapide en Libye afin de légi­ti­mer symbo­lique­ment le nouveau gouver­ne­ment.

 En attente d’un accord offi­ciel

Le fonc­tion­ne­ment de cette déli­cate coopé­ra­tion avec la Libye reste encore incer­taine. Personne n'a, en effet, une image claire de la situa­tion depuis que la commu­nauté inter­na­tio­nale s’est reti­rée du pays en juillet 2014, d’après le docu­ment de l’Union euro­péenne. Au contraire, il règne un « grand manque de clarté » à propos des infra­struc­tures exis­tantes et des moyens des auto­ri­tés libyennes.

C'est pourquoi, on estime dans l'Union euro­péenne qu'il faut peut-être commen­cer par arrê­ter les migrants juste après qu'ils aient entamé leur traver­sée pour l'Europe. Le docu­ment du Service euro­péen pour l'action exté­rieure (SEAE) évoque ainsi le rôle que la mission navale “Sophia” de l’UE pour­rait jouer dans « le déve­lop­pe­ment de la Garde côtière libyenne et de la marine » en Médi­ter­ra­née, en plus de l'aide que four­nit déjà l'UE pour recons­truire la justice et la police.

Pour élar­gir la mission “Sophia”, auquel parti­cipe l’ar­mée alle­mande avec deux navires de guerre, l'UE a encore besoin de l'appro­ba­tion du gouver­ne­ment libyen. Lors de la réunion des ministres des Affaires étran­gères au Luxem­bourg, à laquelle le Premier ministre al- Sarraj a parti­cipé via vidéo­con­fé­rence, il s’est montré ouvert à la coopé­ra­tion. Mais pour des opéra­tions mili­taires dans les eaux terri­to­riales libyennes, l’UE aurait besoin d’un accord encore plus offi­ciel.

Jusqu'à présent, les navires de guerre de l'UE ne sont inter­ve­nus en Libye que pour mettre fin aux trafics des passeurs. Désor­mais, les passeurs misent préci­sé­ment sur le fait que les migrants se font inter­cep­ter par des navires euro­péens ou par des ONG, à peine ont-ils quitté les côtes libyennes, assure-t-on dans une réponse du gouver­ne­ment fédé­ral au Parti de gauche.

Un trafic très rentable

Au calcul cynique des passeurs, l’UE répond sobre­ment. Depuis le début de l’opé­ra­tion de l’UE, « l'utili­sa­tion de radeaux, n’étant pas en état de navi­guer, a augmenté », écrit le gouver­ne­ment alle­mand. De plus, en moyenne, les bateaux étaient appro­vi­sion­nés avec « moins de carbu­rant, de nour­ri­ture et d'eau ». « Un passage en Médi­ter­ra­née n’au­rait donc pas été possible de manière régu­lière». La fin de ce marché n’est pas pour tout de suite. Le trafic d’êtres humains est « extrê­me­ment rentable » et le risque, minime pour les passeurs, conclut le SEAE. Les groupes crimi­nels et peut-être même les terro­ristes se finan­ce­raient de cette façon.

Quoi qu'il en soit la situa­tion sécu­ri­taire en Libye est de plus en plus affec­tée par « les acti­vi­tés du groupe État isla­mique mais aussi d'autres groupes terro­ristes », selon le SEAE. La semaine dernière, l’émis­saire de l'ONU en Libye, Martin Kobler, a partagé ce point de vue. Les attaques du groupe EI contre les instal­la­tions pétro­lières de Libye repré­sentent une « grave atteinte » pour l'écono­mie et les moyens de subsis­tance de millions de Libyens, a déploré Kobler .

Mais appa­rem­ment le groupe Etat isla­mique n’est pas le seul à convoi­ter les sources de reve­nus de la Libye. Lundi, la Coali­tion pour la dignité, l'un des trois gouver­ne­ments actuel­le­ment actifs en Libye a détourné un pétro­lier rempli de 650 000 barils de pétrole brut, au nez et à la barbe du nouveau gouver­ne­ment. Si la lutte pour le pétrole venait à s’en­ve­ni­mer, la Libye serait mena­cée d’une nouvelle désta­bi­li­sa­tion.

2 mai 2016, Markus Becker et Matthias Gebauer, (SPIEGEL ONLINE (28 avril 2016) – traduit par VSD).

Source : vsd.fr

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