Mohamad Jomaa s'essouffle à raconter les dix jours de marche en montagne, les pots-de-vin à des policiers, ou l'agression par une "mafia" locale: comme des centaines de migrants, ce Syrien s'en remet désormais à des passeurs pour forcer les portes de l'Europe.
Empruntée depuis 2015 par des centaines de milliers de personnes, la "route des Balkans" leur est coupée par la fermeture il y a deux mois de la frontière entre la Macédoine et la Grèce.
Mais fuyant la guerre ou la misère, venus d'Afghanistan, d'Irak ou de Syrie, seuls ou en famille, des migrants cherchent des voies clandestines, affrontant des reliefs escarpés ou traversant des rivières, pour rejoindre l'Europe, via la Macédoine, la Bulgarie, puis la Serbie, et enfin la Hongrie, premier pays de l'Union européenne.
Le flux est important: chaque jour, entre 250 et 290 migrants rentreraient sur le territoire serbe, soit entre 7.500 et près de 9.000 par mois, selon une estimation de Mirjana Ivanovic-Milenkovski, porte-parole du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) dans ce pays.
"Les gens sont très déterminés à passer et ils trouveront toujours un passage", dit-elle, redoutant qu'ils ne deviennent "plus souvent la proie des trafiquants".
"Aujourd'hui peut-être, ou demain, je partirai en Serbie, je marcherai encore. Je me fiche de la police, de la mafia, de quoi que ce soit, je veux aller en Allemagne", dit Mohamed Jomaa, étudiant syrien en droit de 20 ans, rencontré par l'AFP dans le camp de réfugiés de Tabanovce.
Avec ses quatre jeunes compagnons d'odyssée, syriens ou irakiens, il s'est reposé deux jours dans ce camp du nord de la Macédoine, avant de rejoindre Belgrade, où beaucoup dorment dans les parcs, près de la gare centrale.
Quand les frontières leur ont été fermées en mars, ils étaient 1.500 à Tabanovce. Ils ne sont plus que quelques centaines. Les autres se sont évanouis. A condition d'avoir les moyens. A la nuit tombée, les négociations avec les passeurs sont vives. "C'est comme au bazar ici", s'amuse Jomaa.
Avant, "nous ne savions pas qui était pauvre et qui était riche", dit Driton Maliqi de l'ONG macédonienne Legis. Désormais, la réponse est évidente: "Ceux qui ont de l'argent réussissent à partir".
Quotidiennement, des migrants arrivent depuis la Grèce, où des milliers restent bloqués dans des camps surpeuplés, comme celui d'Idomeni. Selon Driton Maliqi, "chaque jour de nouveaux réfugiés arrivent, tout le monde sait qu'ils sont arrivés grâce à des passeurs."
Selon Nour Monajed, une jeune Syrienne enceinte de 17 ans bloquée depuis la fermeture de la route dans une grande tente collective, le tarif pour atteindre Belgrade est de 200 euros. Trop cher pour elle, dit-elle.
Mais pour les plus fragiles, impossible de parcourir à pied ou sans aide les quelque 400 kilomètres jusqu'à la capitale serbe. Les bus et les trains affrétés ont disparu en même temps que les frontières se sont fermées.
Selon un rapport publié mardi par les agences policières internationales Interpol et Europol, ce sont 90% des migrants qui ont recours à des passeurs, une proportion appelée à augmenter, avec un coût moyen de 3.000 à 6.000 euros.
Et en 2015, les passeurs ont amassé cinq à six milliards d'euros lors de cette crise, selon ce document qui s'inquiète des risques d'exploitation de ces populations, forcées de travailler ou victimes d'abus sexuels pour rembourser leurs dettes.
Mohamad Jomaa et ses amis sont toujours en route. Mais après avoir quitté Tabanovce, ils sont arrivés à Belgrade en réussissant à prendre un train. Selon un membre du groupe, un policier macédonien leur a montré comment passer la frontière serbe par une voie ferrée.
Pour l'étape suivante, vers la Hongrie, ils ont prévu de recourir à des passeurs, moyennant 800 euros pour éviter les stricts contrôles policiers. "C'est très dangereux pour celui qui est seul", dit Mohamad Jomaa.
19 mai 2016
Source : AFP