« Une pensée identitaire qui prône l’exclusion et le repli sur soi d’une virulence inouïe, un combat populiste et démagogique qui instrumentalise l’école de la République à des fins idéologiques inavouées, qu’il ne faut pourtant pas hésiter à qualifier de profondément xénophobes » : la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a de nouveau condamné, dimanche 29 mai dans le Journal du dimanche, les propos d’Annie Genevard lors des questions au gouvernement à l’Assemblée. Le 25 mai, la députée Les Républicains (LR) du Doubs a affirmé que l’introduction de la langue arabe dans les programmes scolaires, alors que « des langues anciennes qui sont nos racines ou des langues européennes comme l’allemand »voient leur enseignement réduit, « divisera[it] les Français » et encouragerait le communautarisme.
CE QU’ELLE A DIT
« L’urgence commande que notre culture, pour être mieux partagée, s’affirme avec son mode de vie, son histoire et sa langue. Ne croyez-vous pas que l’introduction des langues communautaires dans les programmes scolaires encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ? »
POURQUOI C’EST FAUX
L’arabe n’est pas une « langue communautaire »
L’arabe n’est pas un simple dialecte ou un idiome minoritaire. C’est la langue officielle de 26 Etats, en Afrique et dans la péninsule arabique, soit 430 millions d’habitants. Elle est enseignée en France à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) depuis 1795. L’agrégation d’arabe a été créée en 1905.
La pratique de l’arabe littéral était alors encouragée pour faciliter les échanges commerciaux ou diplomatiques avec le monde arabe. Mais la décolonisation et l’arrivée de nombreux Maghrébins en France depuis les années 1960 a changé le profil des locuteurs. L’arabe est alors devenu la langue d’origine de populations d’immigrés, comme le portugais ou l’italien. Et c’est à ce titre qu’elle est a été intégrée au système d’enseignement de langue et culture d’origine (ELCO).
L’enseignement des langues d’origine est en cours de réforme
Les ELCO, créés par une directive européenne de 1977, favorisent la réussite scolaire des enfants de migrants en structurant et valorisant leur langue maternelle. Des cours de 1 h 30 à 3 heures par semaine sont dispensés hors du temps scolaire aux élèves, du CE1 au lycée, mais surtout en primaire, par des enseignants mis à disposition par les neuf pays concernés : Algérie, Maroc,
Mais des critiques se sont élevés sur la qualité et le contrôle de ces enseignements. Un rapport du Haut Conseil à l’intégration évoquait le risque de « dérive » communautarisme, voire de « cathéchisme islamique » à propos de l’enseignement du turc, comme le souligne la députée Annie Genevard.
Toutefois, le ministère de l’éducation va mettre fin à ce système d’ELCO, sur trois ans à partir de la rentrée 2016, en les transformant en langues étrangères à part entière. Des cours réintégrés au temps scolaire et ouverts à tous.« L’apprentissage de l’arabe, du turc ou du portugais doit se faire dans un cadre scolaire, banalisé, normalisé, comme toutes les autres langues », explique Najat Vallaud-Belkacem. Mais ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.
L’enseignement de l’arabe en France reste très insuffisant
Si pour certaines langues comme l’espagnol, le système d’ELCO était vraiment devenu marginal par rapport à l’enseignement de langue vivante classique, c’est loin d’être le cas aujourd’hui pour l’arabe.
A l’école primaire, l’arabe représente moins de 0,1 % des initiations aux langues étrangères, très loin derrière l’anglais (95 %) et l’allemand.
En 2015, 4 212 élèves suivaient des cours d’arabe au collège et 6 234 au lycée. Cela représente 0,2 % des enseignements de langue étrangère, soit moins que le chinois ou le russe.
L’éducation nationale affirme également que l’arabe aura toute sa place dans les sections internationales, des dispositifs bilingues intégrant à la fois des élèves français et étrangers. Mais seules 2 des 88 sections du primaire sont bilingues, 6 sur 141 au collège et 3 sur 139 au lycée.
Comme le soulignaient deux enseignants, Joseph Dichy et Pierre-Louis Reymond, auteurs d’une tribune dans Le Monde en 2014, une grande partie des professeurs d’arabe ne sont pas titulaires. Le Capes d’arabe n’a d’ailleurs pas été ouvert en 2014 et a recruté 4 personnes en 2015.
Résultat, les parents qui souhaitent que leur enfant apprenne l’arabe doivent se tourner vers le secteur associatif, les mosquées ou les institutions communautaires. Difficile d’obtenir un chiffre exact, mais on estime qu’au moins 65 000 enfants,voire bien davantage, fréquentent ces structures sur lesquelles l’éducation nationale n’a aucun contrôle. C’est donc plutôt l’absence d’enseignement de l’arabe par l’Etat qui engendre un risque de communautarisme.
27.05.2016, Anne-Aël Durand
Source : LE MONDE