Plutôt que tenter en vain de freiner les mouvements migratoires, l'Europe devrait offrir des solutions de mobilité aux réfugiés et aux migrants, préconise le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et des migrants, le Canadien François Crépeau, dans un entretien à l'AFP.
QUESTION: Pourquoi cette crise dans l'accueil des réfugiés et migrants en Europe ?
REPONSE: La "crise européenne des réfugiés" n'est pas une crise de capacité d'accueil, mais une crise de leadership politique. Nous avons des populations migrantes importantes qui n'ont aucun accès au débat politique. Les migrants ne votent pas, ils ne participent pas au débat public, donc ils ne peuvent pas lutter contre les fantasmes et les stéréotypes. Les migrants ne peuvent pas démontrer qu'ils ne créent pas plus de chômage, qu'ils n'apportent pas de maladies, qu'ils n'augmentent pas la criminalité. Tous ces fantasmes continuent de régner dans le débat public puisqu'ils ne sont jamais contredits.
Les politiciens "centristes", de droite comme de gauche, n'arrivent pas à trouver un discours pro-immigration, prodiversité parce que tous leurs conseillers stratégiques leur disent: "Si vous dites ça, on perd". Or, leur métier, c'est de gagner des élections. Ils n'arrivent pas à construire un discours qui contredise les nationalistes populistes.
Mais ce que le Canada a fait pour 35.000 Syriens en cinq mois, l'Europe - espace de 500 millions d'habitants - peut le faire pour 500.000 réfugiés par année. Pour cela, il faut une volonté politique et une coopération intra-européenne dont on ne voit encore que des traces.
Q: Que peut-faire l'Europe ?
R: La prohibition de la mobilité doit céder la place à la gouvernance de la mobilité. Les dernières années ont démontré l'impréparation de nos pays face à cette mobilité. Trois cents ans de nationalisme politique nous ont fait croire que souveraineté territoriale devait signifier blocage des mouvements migratoires. Les deux derniers étés en Europe ont montré l'inanité et le coût, tant humain que financier, de cette proposition.
La stratégie européenne de blocage des migrations et d'externalisation des contrôles migratoires produira à terme peu de résultats et coûtera les yeux de la tête, tant humainement que financièrement et politiquement. La difficile mise en oeuvre de la Déclaration entre l'Union européenne et la Turquie du 18 mars et la reprise des tragiques naufrages au large de la Libye le démontrent amplement.
Il serait beaucoup plus efficace de considérer que souveraineté territoriale signifie contrôle des entrants et des sortants. Pour savoir qui ils sont, il faut inciter les migrants à se présenter aux autorités : il faut faciliter la mobilité légale.
Q: Comment organiser cette mobilité légale ?
R: J'ai proposé que, par exemple, l'Europe accueille chaque année un demi-million de réfugiés sélectionnés directement dans les pays de transit, et arrivant donc en Europe par avion, avec des papiers, selon un programme ordonné de transport et d'accueil, dans le calme et la dignité.
Si chaque pays fait son travail de recrutement dans les pays de transit, le nombre annuel par pays sera limité. L'Allemagne recevrait 80.000 réfugiés par an, la France et la Grande Bretagne 60.000, l'Espagne 40.000, la Suisse 7.000... Sur six ans, cela permettrait d'accueillir 3 millions de personnes. Il faut se rappeler que la Turquie accueille 3 millions de réfugiés, le Liban 1 million, la Jordanie 600.000.
Ce faisant, l'Europe reprendrait aux passeurs une grande partie du marché de la mobilité : de nombreux migrants ne dépenseront pas 10.000 Euros et ne risqueront pas la vie de leurs enfants, si une solution de mobilité légale, sécuritaire et moins chère est disponible dans un avenir prévisible.
01/06/2016
Source : AFP