Face à l’ampleur de la crise migratoire, l’association dénonce les conséquences d’une politique européenne menée «à la frontière du droit», et des mécanismes de contrôle érigés en «système» fait de «morts, murs, tri et troc».
Dans un rapport d’observation publié ce jeudi 2 juin, La Cimade, service œcuménique d’entraide, dresse un bilan à charge sur les conséquences des politiques migratoires européennes. Exécutées dans la violence, ces mesures tendent, selon elle, à «criminaliser le fait migratoire et les personnes». Réalisé grâce à un travail de terrain en collaboration avec plusieurs associations, «Frontières européennes, défense d’entrer ?» alerte sur les échecs de cette politique et exhorte les États membres de l’UE de cesser l’intensification de ces logiques répressives à l’encontre des migrants.
«Jusqu’où ira la démission morale d’une Europe en crise?»
Aux portes de l’Europe, les murs continuent de s’ériger et les mesures sécuritaires ne cessent de croître. Blocage, tri, mise à l’écart, ou externalisation, tout est fait par l’Union européenne, comme par les dirigeants des États membres, pour empêcher les migrants d’entrer sur le territoire. Loin de dissuader ceux qui fuient leurs pays d’origine, ces logiques contraignent les réfugiés à chercher de nouvelles voies de passages, au péril de leur vie. Des mécanismes qui entretiennent par la même occasion les réseaux de passeurs. Mais «jusqu’où ira la démission morale d’une Europe en crise?», s’est donc interrogé Jean-Claude Mas, le secrétaire général de La Cimade, dans son éditorial.
Dans l’intention de dénoncer l’échec de cette politique de repli, qui va à l’encontre du droit fondamental à l’asile, l'association a réalisé trois missions de terrain. Organisées en 2015, celles-ci ont été menées dans des «lieux symptomatiques», c’est à dire aux frontières extérieures de l’espace Schengen, qui permettent de décrypter l'amplification des logiques sécuritaires. Que ce soit à Calais, Melilla ou en Sicile, les constats sont les mêmes, ou presque :
La coopération entre les États membres de l’UE se concentre principalement sur le volet sécuritaire des politiques migratoires […]. Quand il est question de mettre en place une véritable politique commune en matière d’accueil des demandeurs d’asiles répondant aux obligations internationales […], la volonté politique fait défaut et les États ferment leur frontière.
«Pas nouvelles», selon Eva Ottary, membre de La Cimade, ces «logiques de tri, de dissuasions et de répressions envers les personnes migrantes sont aujourd’hui appliquées à un rythme effréné, et sans réel débat démocratique». Et c’est bien l’européanisation de ces pratiques qui est mise en cause dans ce rapport. En effet, si certains de ces mécanismes étaient déjà appliqués à échelle nationale par les États membres, c’est aujourd’hui «l’Europe qui intervient directement». Signé le 18 mars, l’accord UE/Turquie illustre une nouvelle fois l’obsession des dirigeants européens qui tentent par tous les moyens de maintenir les nouveaux arrivants aux frontières à l’écart.
Trier et empêcher l’accès à l’Europe
Les conséquences de ces répressions sont sans appel. À Calais par exemple, le démantèlement du camp, le blocage de la frontière et l’augmentation des contrôles ont accéléré la dispersion des migrants. Si depuis 2002 des camps et des squats se développent sur tout le littoral, «les endroits qui étaient auparavant des lieux de passages se pérennisent aujourd’hui», explique Gispy Beley, également membre de La Cimade :
Nous avons constaté des pratiques administratives illégales de la part de la préfecture de la Manche et du Calvados, qui consistent à interpeller des personnes étrangères dans les ports et à les retenir dans des centres de rétentions au prétexte de les expulser. Mais le réel objectif est de les disperser et de les dissuader de revenir dans ces ports, notamment parce que les ramener dans leur pays d'origine est souvent impossible en raison des risques qu’ils y encourent.
De la même manière, accéder aux enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta est devenu très compliqué tant les contrôles sont nombreux. D’après Stéphane Julinet, membre de l’association marocaine de défense des étrangers Gadem, les migrants sont sans cesse refoulés et demeurent, de fait, dans l’incapacité de formuler une demande d’asile. Ici, la collaboration des États membres de l’UE avec le Maroc permet d’externaliser les politiques d’asile et d’immigration :
La délocalisation vise à déplacer le plus en amont possible, dès le pays de départ et de transit des personnes migrantes. La mise en œuvre des contrôles est sous-traitée au Maroc par l’Espagne, à la France par le Royaume-Uni, en faisant assumer à ces pays de départ les conséquences de leur politique de répression.
Les centres de tri et les hotposts, présentés comme une solution à la crise migratoire, sont au contraire considérés dans ce rapport comme la preuve de l’échec des politiques européennes, incapables de mettre en place «une véritable politique d’accueil» ou même de «relocalisation des réfugiés».
Les violences psychiques et physiques sont également dénoncées par les associations qui ont participé à la rédaction de ce rapport d'observation, précisant que l'impunité et «l’absence de condamnation en justice» étaient de mise concernant ces dérives.
2 juin 2016, Chloé Dubois
Source : politis.fr