samedi 23 novembre 2024 01:05

Le meurtre du réfugié nigérian Emmanuel Chidi, symbole de la fabrique de la haine en Europe

L’immigration vient à nouveau de provoquer un drame. A la différence que, cette fois, il ne s’agit pas d’un énième naufrage au large de la Méditerranée, mais d’un meurtre, commis à Fermo, au centre de l’Italie, le mercredi 6 juillet.

Cible avec sa compagne d’insultes racistes de la part de militants d’extrême droite, Emmanuel Chidi, réfugié nigérian de 36 ans, a réagi verbalement avant d’être roué de coups qui l’ont conduit à la mort quelques heures plus tard. Cet assassinat n’est pas un acte isolé, mais vient rallonger une liste déjà fournie de crimes racistes et xénophobes commis sur le Vieux Continent. Nous sommes en face d’une chaîne de l’horreur qui fait d’Amadeo Mancini, jeune « ultra » et tueur présumé, le coupable idéal, mais pas forcément seul responsable.

Les politiques africains, premiers responsables

Les responsabilités sont partagées et trouvent leur centre de gravité ailleurs. Elles incombent d’abord aux hommes politiques africains ; ceux qui ont échoué dans leur mission sacerdotale de gouverner dans la vertu et l’efficacité, mettant ainsi des milliers d’innocents à la merci de criminels, passeurs véreux, racistes et extrémistes européens. Emmanuel Chidi et sa compagne avaient fui les exactions perpétrées par la secte Boko Haram au nord du Nigeria, dont les autorités du pays, par une longue et scandaleuse passivité, ont échoué à enrayer la violence destructrice.

En Gambie, en Erythrée, au Nigeria, en Guinée-Bissau, la mal-gouvernance fait le lit de départs massifs dont le flux, malgré la fermeture croissante des frontières européennes, ne s’estompera pas. Car combien sont-ils ces jeunes qui ont perdu tout espoir de vie décente en Afrique ? Faisant le choix de partir, par n’importe quel moyen, pourvu que ce soit vers ce qu’ils peignent encore comme un eldorado, l’Europe.

Cette « fuite d’eau », comme l’a caractérisé avec vulgarité et mépris Nicolas Sarkozy, va continuer à « envahir » le Vieux Continent, car, pour notre jeunesse, c’est l’espoir que les politiques africains ont tué.

Franchir les frontières de l’inacceptable

A coté de nos dirigeants, les hommes politiques européens ne peuvent non plus se décharger de leur responsabilité. A force de stigmatiser « l’étranger », « l’autre », comme source du déclassement social de millions de familles européennes, ils sont de néfastes agrégateurs de haine. L’ouvrier qui pique le boulot des Français. Le réfugié qui jouit du logement dû aux pauvres familles italiennes. Le musulman qui dénature l’identité judéo-chrétienne allemande… Aucune barrière morale n’est suffisante pour annihiler leur détermination à franchir les frontières de l’inacceptable. Dans leur entreprise folle et honteuse, ils sont rejoints par des artistes, écrivains et universitaires.

Les actes ouvertement racistes et xénophobes se multiplient, notamment de la part de personnes exerçant des responsabilités publiques. « Du pain au chocolat » du maire de Meaux, Jean-François Copé au « nègre » de la ministre des familles, Laurence Rossignol. Sans oublier « l’inégalité des civilisations » de l’ex-ministre de l’intérieur, Claude Guéant ou encore les saillies racistes et islamophobes du Néerlandais Geert Wilders ou du Suisse Christoph Blocher.

La banalisation du racisme de la part de formations soi-disant modérées a libéré un discours nauséeux dans l’espace public. Aujourd’hui, les partis populistes se renforcent, lançant ainsi d’inquiétantes hordes extrémistes à la conquête des pouvoirs en Europe avec une rengaine sordide qui fait de l’immigré un bouc émissaire.

Lâcheté et barbarie

Les politiques européens s’enfoncent de jour en jour dans le déshonneur en voulant « s’assurer d’incertaines “victoires” politiciennes » comme le soulignait très justement Pierre Joxe dans son hommage à Michel Rocard.

Nous n’en sommes plus à demander aux hommes politiques européens de faire vœu d’indignation devant les drames récurrents de l’immigration, mais seulement de s’armer de décence devant des horreurs comme celle qui vient de frapper le destin d’un jeune. Car ceux qui ont traité la compagne d’Emmanuel Chidi de « singe » et provoqué ainsi la mort de son compagnon sont les mêmes que ceux qui avaient qualifié Christiane Taubira de « guenon ».

Ils ne peuvent voir une peau noire qu’à travers une nature injurieuse de primate.

Hélas, la compagne d’Emmanuel Chidi ne sera pas la dernière veuve de la lâcheté et de la barbarie. Un cycle infernal de fabrique de la haine dont personne ne mesure la gravité a été enclenché. D’autres hommes et femmes laisseront encore leur vie car de nombreux Amadeo Mancini errent libres dans les villes européennes. Gare au réfugié ou à l’immigré malchanceux qui croisera leur route.

Emmanuel Chidi et sa compagne avaient fui leur pays croyant pouvoir sauver leur vie sur une terre d’asile. Mais c’était sans compter sur le fait que ce sol d’Europe ne voulait pas d’eux.

12.07.2016, Hamidou Anne

Source : lemonde.fr

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