L'accord conclu avec la Turquie ne résout en rien le problème des réfugiés et viole les principes d'humanité et de solidarité qui devraient guider l'Union européenne. L'afflux de migrants n'est pas près de se tarir. La seule façon d'y répondre est de mettre sur pied une politique d'asile globale et assumée.
La crise des réfugiés menaçait déjà l'Union européenne de désintégration. Le 23 juin, elle a contribué à une calamité encore plus importante : le Brexit. Ce sujet de préoccupation majeur a donné encore plus de puissance aux mouvements nationalistes xénophobes à travers le continent. Ils vont essayer de gagner une série d'élections importantes l'an prochain : des élections nationales en France, aux Pays-Bas et en Allemagne en 2017, un référendum en Hongrie sur la politique de l'UE concernant les réfugiés, le 2 octobre, un nouveau tour de l'élection présidentielle autrichienne le même jour et un référendum constitutionnel en Italie un peu plus tard.
Plutôt que de s'unir pour résister à cette menace, les Etats membres de l'UE sont devenus de plus en plus réticents à coopérer. Ils suivent des politiques égoïstes et discordantes concernant l'émigration, souvent au détriment de leurs voisins. Dans ces circonstances, une politique d'asile européenne globale et cohérente est impossible à court terme. La confiance nécessaire à la coopération fait défaut. Elle devra être reconstruite grâce à un processus long et laborieux.
Une politique globale devrait être la première des priorités pour les dirigeants européens ; l'Union ne peut pas survivre sans elle. La crise des réfugiés n'est pas un événement isolé ; elle présage une période de hausse des pressions dues à l'émigration pour plusieurs raisons : déséquilibres démographiques et économiques entre l'Europe et l'Afrique, conflits incessants, changement climatique... La construction de barrières aux frontières ne vont pas seulement fragmenter l'Union ; elles vont également sérieusement endommager les économies européennes et constituent une atteinte aux droits de l'homme. Ce qui est sûr, c'est que la réponse partielle actuelle à la crise, à travers l'accord conclu entre l'UE et la Turquie pour endiguer les flux de réfugiés dans la région de la Méditerranée orientale, n'est pas la solution. Elle souffre en effet de quatre lacunes fondamentales : elle n'est pas vraiment européenne - l'accord avec la Turquie a été négocié et imposé à l'Europe par la chancelière allemande Angela Merkel -, elle est gravement sous-financée et a transformé la Grèce en un « enclos », avec des installations inadéquates. Enfin, cette réponse n'est pas basée sur le volontariat : elle essaie d'imposer des quotas auxquels de nombreux Etats membres s'opposent et oblige les réfugiés à résider dans des pays où ils ne sont pas les bienvenus et où ils ne veulent pas aller, tout en forçant d'autres réfugiés qui sont arrivés en Europe par des moyens illégaux à retourner en Turquie.
Ce « deal » avec Ankara était particulièrement problématique, même avant le coup d'Etat manqué du 14 juillet qui a plongé l'Europe dans un futur encore plus incertain. A un certain niveau, l'accord semble être un succès, puisque la route des Balkans est en grande partie bloquée et les flux de réfugiés vers la Grèce ont diminué. Mais les flux de réfugiés voyageant par des moyens beaucoup plus dangereux en Méditerranée ont augmenté.
En réalité, l'accord UE-Turquie viole les valeurs et les principes qui doivent guider l'Union européenne, constitue une rupture avec des décennies de pratique dans le financement du développement et dégrade le traitement des migrants et des réfugiés. Une alternative efficace implique plusieurs principes. D'abord, l'UE doit accepter un nombre important de réfugiés et les relocaliser d'une manière sécurisée et ordonnée. Ce qui serait beaucoup plus acceptable pour le public que le désordre actuel. Un objectif d'au moins 300.000 réfugiés par an pourrait être fixé ; une démarche qui, espérons-le, serait imitée par d'autres régions du monde. Cela doit s'accompagner de la création de centres de traitement dans les principaux pays d'accueil des réfugiés, en dehors de l'Europe ; il faut créer une frontière de l'UE et des garde-côtes puissants ; établir des normes communes pour le traitement et l'intégration des demandeurs d'asile, comme pour le renvoi de ceux qui ne sont pas admissibles ; une renégociation du règlement de Dublin III s'impose aussi pour redistribuer de façon plus équitable le poids des réfugiés dans l'UE. Enfin, l'Europe doit développer des outils financiers qui puissent fournir des fonds suffisants pour relever les défis auxquels elle est confrontée à long terme et ne plus avancer en boitillant « de crise en crise ». Au fil des ans, l'UE a dû financer un nombre toujours croissant de projets avec de moins en moins de ressources. En 2014, les Etats membres et le Parlement européen ont convenu de réduire et de plafonner le budget global de l'UE à 1,23 % du PIB, jusqu'en 2020. Ce fut une erreur tragique. L'UE ne peut pas survivre avec un budget de cette taille. Au moins 30 milliards d'euros par an seront nécessaires pour que l'Europe mette en place un plan d'asile global.
Les bénéfices apportés par la migration dépassent largement les coûts d'intégration des immigrants. La crise des réfugiés n'est pas la seule crise à laquelle l'Europe doit faire face, mais elle est la plus urgente.
25/07 2016, George Soros
Source : lesechos.fr