L’Égypte semble devenir la nouvelle préoccupation de l’Union européenne (UE) sur le dossier des migrants. Après les restrictions appliquées par la Turquie depuis mars 2016, le nombre de personnes arrivées en Europe par la partie orientale de la Méditerranée, essentiellement vers la Grèce, a baissé de 95 % au mois de juin par rapport à l’année dernière. Frontex, l’agence chargée de la gestion des frontières extérieures de l’UE, craint désormais de voir l’Égypte « devenir un pays de départ » selon les propos tenus par son directeur Fabrice Leggeri à la presse allemande à la fin du mois de juin.
« L’Égypte reste un itinéraire traditionnel de la migration irrégulière vers l’Europe par la mer Méditerranée, tempère néanmoins Tarik Argaz, du Haut commissariat aux Réfugiés (HCR) au Caire, l’organisme des Nations Unies chargées de la protection des réfugiés. Depuis 2013, il y a eu une augmentation de ces départs. Le taux global des arrivées en Italie reste en ligne avec les tendances enregistrées en 2014 et 2015, ce qui suggère qu’il n’y a pas eu de réorientation significative vers la route méditerranéenne centrale. »
Inquiétude de l’Italie
L’Italie, principale destination des migrants en partance des côtes égyptiennes, a récemment exprimé son inquiétude face à une hausse de l’immigration sur son sol. Durant le seul mois de mai, le pays a enregistré 7 000 arrivées en provenance de l’Égypte, alors qu’il avoisinait les 11 000 sur toute l’année 2015, d’après Frontex.
Les tensions entre Le Caire et Rome, nées après que le jeune chercheur italien Giulio Regini a été retrouvé mort et torturé dans un quartier de la capitale égyptienne au début de l’année, auraient pu avoir raison de leur coopération. En réaction à une décision du Sénat italien, qui s’est prononcé contre la livraison à l’Égypte de pièces de rechange pour des avions de combats F-16, le ministère des Affaires étrangères égyptien a menacé dans un communiqué publié le 6 juillet de prendre des « mesures qui pourraient affecter la coopération entre l’Égypte et l’Italie, y compris dans le domaine de la lutte contre la migration illégale ».
Selon le Comité national de coordination pour la prévention et la lutte contre la migration illégale (NCCPIM, en anglais), la question s’avère trop sérieuse pour être affectée par des considérations « sans rapport ». Naela Gabr, qui dirige cet organe interministériel, s’inquiète davantage des conséquences sur l’Égypte de l’accord signé par la Turquie et l’UE le 18 mars, destiné principalement à empêcher l’arrivée et l’installation de réfugiés dans les 28 pays membres.
« Une nouvelle réalité »
« Nous considérons que cet accord n’est pas compatible avec la Convention de 1951 sur les réfugiés et les normes et principes des droits de l’homme universellement reconnus,déclare-t- elle. Ses effets seront négatifs sur l’aide humanitaire apportée aux réfugiés. Pour l’Égypte, cela représente un flux supplémentaire. Avec la situation en Libye et la fermeture de la route des Balkans, c’est une nouvelle réalité à laquelle nous devons faire face. »
Et Naela Gabr d’avertir : « L’Égypte restera un pays de transit. Il est logique que les Syriens et les Africains envisagent de rejoindre l’Europe dont les pays sont riches. L’Égypte est surpeuplée et connaît une situation difficile. Elle n’a pas vocation à devenir un pays de destination ». Environ 5 millions d’immigrés vivent en Egypte dont près 185 000 réfugiés et demandeurs d’asile.
Sur le terrain, les associations estiment également que l’accord turco-européen ne fait que déplacer le problème de la mer orientale vers la mer centrale, conduisant les réfugiés à prendre une route bien plus longue et dangereuse que la mer Egée habituellement empruntée. Depuis le début de l’année, 2 606 personnes sont décédées ou ont disparu en Méditerranée centrale contre 383 dans sa partie orientale.
L’incrimination spécifique
A Alexandrie, la grande ville portuaire au nord de l’Égypte, d’où partent ceux qui bravent ces eaux, Muhammad Al Kashef est chargé des questions migratoires à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR, en anglais), une ONG. « Les voies les plus accessibles pour les Syriens ont été coupées, insiste-t- il. Désormais les Syriens ont rejoint les Soudanais, les Somaliens et tous les Africains qui depuis longtemps essaient de gagner l’Europe à partir de l’Égypte. »
Selon le HCR, plus de 1 000 personnes ont été détenues pour tentative de départ de façon irrégulière au seul mois de juin. Le Parlement égyptien devrait adopter dans les prochaines semaines un projet de loi qui contient l’incrimination spécifique de « trafic de migrants ». Jusqu’à présent, les « passeurs » agissent quasiment au grand jour et en toute impunité.
08.08.2016, Aziz El Massassi
Source : Le Monde