L’absence de repli dans l’exacerbation de la migration clandestine appelle une relecture des pratiques médiatiques pour mieux comprendre le phénomène qui reste une préoccupation largement partagée. Cette conviction est partagée par l’Organisation internationale des migrations (Oim) qui a initié une série d’ateliers de renforcement des capacités des journalistes africains. L’étape nigérienne (du 4 au 5 août 2016) a rassemblé des confrères du Sénégal, du Nigéria et du Niger, résolument engagés dans la promotion d’un journalisme de type nouveau pour aider à mieux comprendre le phénomène migratoire, mais aussi et surtout développer une expertise médiatique à même d’accompagner efficacement la lutte contre cette «pathologie collective».
NIAMEY – S’il est admis que l’émigration n’est rien d’autre que «l’action de quitter son pays de résidence pour s’installer dans un pays étranger», cette explication semble ne point convaincre les journalistes face à l’ampleur d’un phénomène qui a fini par bouleverser leurs attitudes rédactionnelles. Chargé de projet à Oim Rabat, Christos Christodoulides, le principal intervenant de la rencontre, parle d’une «communication déformée sur la migration (qui) peut enclencher un cercle vicieux aboutissant à des informations erronées, relayées par les politiques publiques, les médias et le grand public». Même s’il est d’avis que « l’opinion publique sur la migration varie d’un pays à l’autre et à l’intérieur de chaque pays, mais aussi dans le temps».
Seulement, les médias ont une grande responsabilité dans l’évolution des perceptions et des représentations sur la migration, parce qu’ils « façonnent le débat et opèrent des choix » autant dans la détermination des angles de traitement, de l’étendue que de la nature de leur couverture. « Lorsque les médias parlent de vagues de migrants, c’est qu’ils donnent l’impression d’être submergés. Le respect de la vie privée des migrants dans les articles passe par la non-diffusion d’informations inexactes, simplifiées ou déformées ». Aujourd’hui, dans le traitement de la migration clandestine, il est attendu des médias « la protection des sources et le respect de la dignité pour aboutir à un changement des mentalités. Il faut que les expressions "sans papiers", "clandestins" ou "migrants illégaux" soient bannies du jargon journalistique ».
Dans cette perspective, Christos Christodoulides invite les médias à développer une « connaissance pratique de la migration à travers l’organisation de formations sur la couverture de la migration avec le soutien des organisations internationales et les instituts de journalisme », mais aussi et surtout de « former des migrants aux techniques et travail journalistique pour garantir la restitution de leurs paroles ». Cette synergie migratoire passe aussi par le recrutement de « journalistes de différentes nationalités et de journalistes qui appartiennent aux minorités, la promotion de la diversité et du pluralisme dans les médias pour parer à la désinformation à travers une offre médiatique claire, précise, humaine et objective ».
Par Doudou Sarr NIANG, envoyé spécial à Niamey
Les exigences informationnelles
Le rapport aux sources pose problème lorsqu’il s’agit d’interviewer ou de donner la parole à des migrants de retour au bercail. Dans les rédactions, les journalistes ne sont pas préparés pour aller à la rencontre de ces migrants. Les exigences d’une collecte rigoureuse, d’un traitement objectif et d’une diffusion à grande échelle doivent être au cœur de la nouvelle approche informationnelle… pour ne pas dire de la nouvelle offre informationnelle lorsqu’il s’agit de parler du fait migratoire dans sa globalité : qu’il s’agisse de la migration régulière, clandestine, circulaire, ou de transit. A l’issue du séminaire de Niamey, les journalistes ont compris qu’il faut éviter de tomber dans la confusion sémantique. Car, « l’agenda médiatique de la migration porté par les Ong obéit à des exigences que les médias ne comprennent pas ».
Même s’il est généralement admis que les médias ont un effet puissant, « leur capacité à changer les comportements est quasi-résiduelle lorsqu’il s’agit d’engager la lutte contre la migration clandestine ». Car, il est ressorti à l’issue des débat que « le traitement médiatique du fait migratoire ne glisse pas sur le terrain des motivations qui permettent de dresser le profil du migrant de retour et d’anticiper ses comportements futurs ».
Pour un journalisme compréhensif et analytique
Les médias peuvent-ils être des sentinelles de la lutte contre la migration clandestine ? Certes, il est de la responsabilité du journaliste d’avoir une attitude dénonciatrice, mais est-ce véritablement le rôle du journaliste à qui on a appris … juste à donner l’information sans aucun parti pris ?
Face à ces contraintes objectives, l’émergence d’un journaliste compréhensif et analytique pourrait aider à renforcer les postures médiatiques pour plus d’efficacité éditoriale. Il ne s’agit pas de réinventer le journalisme, mais d’inventorier les bonnes pratiques professionnelles qui révèlent un journalisme innovant.
Innovant dans la démarche parce qu’orientée vers une perspective critique. Il s’agit plus de faire abstraction du classicisme médiatique (le sempiternel travail de compte-rendu) mais d’explorer de nouvelles postures médiatiques qui permettent d’expliciter les faits, de les rendre intelligibles afin de mettre en débat la migration dans sa globalité.
Il faut repenser le journalisme dans le rapport des médias aux phénomènes de société pour aider à un changement de paradigme dans le modèle représenté du migrant.
Il est attendu chez les médias sénégalais une efficacité combative pour devenir de vrais acteurs dans le dispositif de lutte. Il ne s’agit pas de faire preuve d’indignation sélective lorsqu’il faut dénoncer ces jeunes qui ont choisi de suivre les pistes du désert pour rejoindre l’Occident. Mais d’ingéniosité pour comprendre le goût du risque ou encore cette folle envie de partir qui frise une certaine pathologie individuelle et collective.
Alors, faut-il transformer les migrants en «journalistes» pour partager avec eux plus du vécu ? La parole du migrant, lorsqu’elle est dépouillée de tout subjectivisme, vaut son pesant d’or. Et lorsque l’occasion lui est donnée de la mettre en texte, elle peut révéler des indices palpables d’une tragédie humaine qui appelle une offensive médiatique d’envergure pour dire «non».
A coup sûr, ces «nouvelles figures du journalisme» pourraient user de leurs positions acquises dans la sphère médiatique pour changer les perceptions publiques. Et les médias, fortement renseignés sur le fait migratoire, délaisseront le récit au profit d’un véritable travail d’investigation. En d’autres termes, comme l’a si bien dit, un étudiant en journalisme de Rabat : « Il faut faire parler les migrants et ne pas se contenter de parler d’eux». C’est la meilleure manière d’éviter de tomber dans « l’immigrationisme » (Immigration+sensation).
09 août 2016, Doudou Sarr NIANG
Source: lesoleil.sn