vendredi 22 novembre 2024 21:11

Paris : les migrants chassés sans relâche

Depuis plusieurs semaines, démantèlements et contrôles d’identité se multiplient dans la capitale. Les associations accusent de harcèlement les forces de l’ordre.

Les tractopelles sont arrivées peu de temps après les forces de l’ordre. Mardi, à l’heure du déjeuner, les quelque 200 réfugiés qui dormaient à même le trottoir de l’avenue de Flandre, dans le XIXe arrondissement de Paris, ont été emmenés dans quatre bus de la préfecture de police. Le campement de fortune a été rasé dans la foulée. Une «opération de contrôle», à ne pas confondre avec les évacuations de «mise à l’abri», menées jusqu’ici avec la mairie. Et dont la dernière remonte au 22 juillet, sur le camp situé entre les stations de métro Jaurès et Colonel-Fabien. Depuis, la stratégie de la préfecture, contactée par Libération, est tout autre : «Eviter la stagnation de migrants.» Certes, «certains réfugiés se verront proposer des solutions d’hébergement à l’issue de ces contrôles administratifs». Mais pour la plupart, la police le sait, «ils vont revenir». Autrement dit, «c’est comme vider la mer à la petite cuillère». Agathe, membre du Collectif parisien de soutien aux exilé-e-s, s’en désole : «On ne sait pas combien d’entre eux seront vraiment relogés. Et, comme d’habitude, certains iront au commissariat pour identification et seront ensuite remis à la rue. Sans parler de la situation déplorable réservée aux mineurs.»

«Je veux juste être aidé»

Agathe était présente la veille, lundi, quand dix camions de CRS ont débarqué «discrètement» boulevard de la Villette, selon ce modus operandi utilisé depuis une dizaine de jours. «J’étais en train de discuter avec un jeune mineur, sur un banc, raconte-t-elle. Et là, d’un coup, nous nous sommes retrouvés entourés par la police qui est arrivée sans bruit, sur la pointe des pieds. Certains réfugiés ont sauté par-dessus la barrière du boulevard pour échapper à l’interpellation.» Une vingtaine de minutes, des contrôles d’identité et une nasse plus tard, environ 30 personnes de nationalité afghane ont été placées dans deux camions de CRS. Seuls 20 d’entre eux ont été relogés depuis dans un Formule 1, la préfecture assurant que «c’est le chiffre moyen de personnes à qui [elle] propose un hébergement» dans le cadre de ces opérations. Une sélection opérée selon «leurs dossiers et situations individuelles».

Phénomène attendu

Si quelques-uns se voient donc proposer des solutions - souvent précaires - depuis une dizaine de jours, de nombreuses associations dénoncent le traitement par les pouvoirs publics de ces personnes originaires du Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie ou encore d’Afghanistan. En cause, ces interventions policières quasi quotidiennes, souvent qualifiées de «violentes» par les demandeurs d’asile. Les bénévoles, parlent, eux, d’un «véritable harcèlement». Un programme bien rodé, que la mairie de Paris - qui préfère prendre ses distances - qualifie de «stratégie de dispersion de la part de la préfecture» (lire ci-dessous) : les réfugiés délogés sont emmenés au commissariat où ils subissent un contrôle d’identité et de situation administrative. Certains y reçoivent alors des obligations de quitter le territoire français sous trente jours… Puis sont relâchés dans la rue, sans véritables solutions alternatives.

Une version corroborée par Ahmad, la vingtaine et d’origine soudanaise. Le document le sommant de quitter la France est soigneusement plié dans sa poche. Il n’en a cure : «Je ne vais pas retourner dans une zone que j’ai quittée à cause de la guerre. Je veux juste être aidé.» A ses côtés, Jad, 26 ans, qui vient lui aussi du Soudan. En France depuis deux mois, il vit dans une insécurité permanente. Régulièrement délogé, il bouge constamment, passe d’un bout d’asphalte à un autre : «Il n’y a nulle part où aller, la police vient tout le temps nous dire de partir, on se fait gazer.» Même chose pour Ali, 18 ans, qui a quitté le camp de Jaurès puis le boulevard de la Villette, après que les policiers lui ont crié «leave, leave !» Hatheam, 22 ans, a choisi pour sa part de s’installer sur une parcelle d’herbe de la Rotonde, place Stalingrad. Il a peur : «On se dispatche, car quand on est un groupe trop gros, la police vient nous déloger.» Il se dit également amer d’avoir «quitté [son] pays en guerre pour [se] retrouver dans cette situation».

Abdou, 25 ans, a eu, lui, plus de chance : il est actuellement logé à l’hôtel, après sept mois d’errance. Mais ce Soudanais aux chaussettes jacquard et lunettes de soleil sur le nez est las : «Parfois, la vie est tellement difficile que je me dis que j’aimerais mourir, comme ça, le calvaire serait terminé.» Sur son téléphone portable, il montre une photo de la manif des migrants de samedi, bloquée par les CRS. Sur l’image, une pancarte : «Honte à la France.»

Les associatifs, eux aussi, sont à vif. «Ces interventions quotidiennes, c’est vraiment pour décourager les gens, explique l’un d’eux. Elles ralentissent les réfugiés dans leurs démarches administratives et les empêchent de s’installer.» Pierre Henry, président de France terre d’asile, se désole de la situation mais parle aussi d’un phénomène «attendu, au plein cœur du mois d’août» : «On savait que les arrivées seraient plus nombreuses, avec 50 à 100 primo-arrivants par jour à Paris et en Ile-de-France.» Aline Pailler, ex-députée européenne apparentée PCF et productrice à France Culture, est elle aussi effarée : «C’est comme ce qui s’est passé pour les Roms, personne ne leur propose de solution et on les chasse violemment de lieu en lieu… Il n’y a aucune logique dans cette manière de procéder, puisqu’ils s’installent 20 mètres plus loin. Forcément, ils n’ont pas d’autre choix.» Elle est venue, avec sa fille, apporter des vêtements - «visiblement il y a besoin de chaussures d’hommes ici !» - et ne semble pas en revenir : «C’est une honte qu’on en soit arrivé là.»

9 août 2016, Amélie Quentel

Source : Libération

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