Deux mois après le référendum, la victoire du Brexit reste une pilule difficile à avaler pour les Londoniens, et plus particulièrement les habitants des quartiers multiculturels.
Dans cette ville cosmopolite, où sont célébrées les différences culturelles et ethniques, 28 districts sur 33 ont rejeté le Brexit et sa campagne anti-immigration. Mais le pays a majoritairement voté pour une sortie de l'UE, plongeant les Londoniens en plein désarroi.
Le 23 juin, Will Bushby, un jeune militant de la campagne pour le vote "Remain", est resté éveillé toute la nuit pour suivre les résultats du référendum qui arrivaient au compte-gouttes avant de fondre en larmes, "le coeur brisé", à la publication des résultats définitifs.
Pour Rosemarie Mallett, vicaire de l'Eglise anglicane originaire de La Barbade, entendre sa fille lui demander "Maman, devons-nous partir?", alors que celle-ci s'était jusqu'alors sentie la bienvenue au Royaume-Uni représente son pire souvenir du référendum. "NOUS VIVONS DANS UNE BULLE"
Marta Szlendak, une immigrée polonaise vivant à Londres depuis neuf ans, se souvient d'un étrange silence dans les rues en se rendant à son travail le matin du Brexit. Elle raconte avoir vu l'incrédulité sur les visages des Londoniens.
Elle dit n'avoir jamais mis en doute son statut en Grande-Bretagne, où elle travaille dans un cabinet de conseil, y élève une fille née au Royaume-Uni et compte beaucoup d'amis dans la communauté locale, où elle s'est toujours sentie la bienvenue.
Comme beaucoup de Londoniens, elle s'attendait à ce que le camp du "Remain" gagne le référendum.
Face aux propos anti-immigration prononcés lors de la campagne, elle a tout de même commencé les démarches administratives pour obtenir sa naturalisation britannique. Elle projette maintenant de demander un passeport polonais pour sa fille, pour que celle-ci puisse continuer à profiter des avantages d'une citoyenne européenne.
Cette immigrée polonaise affirme que le référendum lui a donné l'impression de ne pas connaître la Grande-Bretagne.
"Londres est tellement diversifié et les gens sont si ouverts d'esprit. Mais cela m'a fait réfléchir et m'a inquiété pour ce qu'il se passe ailleurs qu'à Londres", dit-elle. "Je crois que nous vivons dans une sorte de bulle ici." LA DIVERSITÉ CONTRE LE BREXIT
C'est au coeur de la capitale, dans le district ("borough") de Lambeth, au sud de la Tamise, que le vote pour le maintien dans l'UE a été le plus fort avec 78,6% de votes pour le "Remain", le plus important pourcentage de Grande-Bretagne.
L'une des principales caractéristiques de Lambeth, qui explique en partie ce résultat, est sa diversité, que l'on retrouve dans les districts d'Hackney et d'Haringey, où le "Remain" est également arrivé premier.
"Il semblait que si vous votiez pour sortir (de l'UE), vous votiez pour une Grande-Bretagne fermée. Personne ici ne voulait cela", analyse Rosemarie Mallett, dont la paroisse se trouve à Brixton, un quartier de Lambeth où vivent une forte communauté afro-caribéenne et des personnes originaires d'Afrique, du sud de l'Europe et d'Amérique latine.
Plus de 43% des 322.000 habitants de Lambeth font partie des minorités ethniques et de la communauté noire, un nombre proche de la moyenne londonienne mais trois fois supérieur à la moyenne nationale. Un tiers d'entre eux sont nés à l'étranger, principalement en Jamaïque, au Portugal et en Pologne.
Le quartier est également un fief du Parti travailliste, qui a fait campagne pour le maintien dans l'UE. Mais Kate Hoey, une députée travailliste représentant la circonscription de Vauxhall, qui regroupe en grande partie le district de Lambeth, n'a pas suivi la ligne du parti et soutenu ouvertement le Brexit.
La députée a irrité bon nombre de ses électeurs en apparaissant aux côtés de Nigel Farage, le dirigeant du parti Ukip, anti-UE et anti-immigration, lors d'un événement très médiatisé de la campagne.
Après le référendum, les membres de la paroisse de Rosemarie Mallett à Brixton, qui ne fait pas partie de la circonscription de Kate Hoey, ont été profondément bouleversés par les attaques verbales, les menaces et même les crachats contre les immigrés ou les minorités ethniques recensés dans les médias.
En réaction à ce regain de violence raciste, l'organisation London Citizens a distribué des badges portant le slogan "Aimons Londres. Pas de place pour la haine" à l'extérieur de la station de métro de Brixton durant l'heure de pointe. Des centaines de personnes ont récupéré ces badges afin de montrer ouvertement leur aversion aux attaques racistes.
-Mais de nombreux membres de la paroisse de Brixton restent inquiets pour l'évolution de leurs conditions de vie, de leur statut d'immigré et de leurs droits après le Brexit.
"Les gens sont préoccupés par leur avenir dans ce pays", analyse la vicaire Rosemarie Mallett.
22/8/2016
Estelle Shirbon
Source : Reuters