jeudi 4 juillet 2024 22:23

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ÉDITO. Interdiction du burkini : le mal de mer

Le Conseil d’Etat doit se prononcer ce jeudi (reportée à vendredi) sur les arrêtés municipaux contre le maillot de bain islamique, alors que des images de femmes verbalisées pour le port d’un simple voile sur la plage, à Cannes et à Nice, suscitent le malaise.

Les lois stupides n’ont d’autre effet que d’ajouter aux malheurs de la cité. Et de déboucher, inéluctablement, sur des situations scandaleuses. Ainsi dans un pays de liberté, des policiers venus en nombre ont chassé d’une plage une jeune femme qui n’avait commis d’autre crime que de marcher sur le sable avec un foulard et un pantalon. Outre l’opprobre public infligé par des pandores à moitié convaincus et qui avaient à coup sûr mieux à faire, elle a dû subir une bordée d’insultes racistes proférées par une poignée d’estivants. Sans que ceux-ci en soient d’ailleurs le moins du monde inquiétés…

Quelle République est-ce là ? Les arrêtés sans rime ni raison pris par des maires paniqués ne pouvaient déboucher sur autre chose. Dès lors qu’on se mêle de réglementer la longueur des jupes ou le port d’un foulard dans l’espace public, où chacun est habituellement libre de porter les tenues les plus diverses, on ridiculise la loi et on humilie les citoyens. En l’occurrence les citoyennes.

Les forces de l’ordre seront-elles désormais mobilisées pour interdire les plages à des mères de famille en tenue traditionnelle qui ne demandent rien et ne menacent personne ? Devront-elles les expulser de force sous les yeux de leurs enfants, dans une amère leçon de civisme à l’envers ? N’y a-t-il pas des tâches plus urgentes pour les polices municipales ? Devant ce spectacle choquant, qui a suscité la condamnation de toute la gauche et d’une partie de la droite, comment les musulmans les plus pacifiques, les plus patriotes, ne se sentiraient-ils pas désignés à la vindicte publique ? Et quel cadeau offert à la propagande islamiste qui veut présenter la France comme une terre par nature hostile à la religion musulmane !

Lutter contre l’intégrisme ? Objectif essentiel, pressant, décisif. Dans les quartiers, dans les mosquées, le salafisme cherche à gagner en influence et à faire passer sous sa coupe un nombre croissant de musulmans désorientés. Cette régression moyenâgeuse doit être combattue, par l’action politique, par la pédagogie, par l’application intransigeante des lois laïques (les vraies), par un soutien sans faille apporté aux tenants d’un islam moderne et pacifique, qui sont de loin la majorité (sans compter les incroyants de culture musulmane, dont on ne parle jamais…).

La France a-t-elle baissé la garde ? En aucune manière. Elle est au contraire le pays démocratique où les mesures les plus fermes ont été prises contre les signes intégristes, entre l’interdiction du voile intégral - déjà malaisée à mettre en œuvre - et la prohibition des signes religieux ostentatoires dans les salles de classe. Aller au-delà dans l’espace public, c’est outrepasser les principes élémentaires de la liberté individuelle.

Quant à la laïcité, il faut inlassablement rappeler qu’elle a pour but de garantir la neutralité de l’Etat en matière religieuse, mais aussi le libre exercice des religions dès lors qu’elles se situent dans le cadre de la loi. La laïcité ne consiste pas à réprimer les croyances mais à s’assurer qu’elles n’influent pas indûment sur la puissance publique ou l’élaboration des lois. On espère que le Conseil d’Etat, qui examine ce jeudi les arrêtés «anti-burkini» dans sa sagesse juridique, mettra fin à cette pantalonnade discriminatoire qui choque les démocrates et embarrasse la police. C’est en accueillant sans ambages les religieux respectueux des lois que l’esprit de la laïcité sera le mieux respecté.

24 août 2016, Laurent Joffrin

Source : Libération

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