Le burkini peut-il être interdit sur les plages françaises au nom du respect de "l'ordre public" ? La plus haute juridiction administrative du pays tranche vendredi le débat, qui enflamme la France, divise le gouvernement et suscite l'indignation à l'étranger.
Saisi du dossier jeudi, le Conseil d'Etat doit se prononcer à 15H00 locales (13H00 GMT) sur la légalité de l'interdiction de cette tenue de bain couvrante décrétée par une station balnéaire de la Côte d'Azur (sud-est).
La décision fera date pour la trentaine de communes françaises ayant pris des arrêtés similaires, mais aussi pour le gouvernement, soucieux de clore un débat qui s'envenime.
S'exprimant jeudi pour la première fois sur le sujet, le président François Hollande s'est bien gardé de s'avancer: il a appelé à ne céder ni à la "provocation" ni à la "stigmatisation", mettant en avant le "grand enjeu" de "la vie en commun" dans le pays qui compte la plus importante communauté musulmane d'Europe.
La décision de la haute juridiction administrative sera aussi regardée avec intérêt au niveau international, où la polémique française sur ces tenues de bain couvrant le corps des cheveux aux chevilles, est suivie avec une certaine consternation.
La justice française a "l'occasion d'annuler une interdiction discriminatoire qui se fonde sur, et qui nourrit, les préjugés et l'intolérance", a estimé dans un communiqué John Dalhuisen, directeur du programme Europe d'Amnesty International.
Des photos du contrôle mardi par quatre policiers municipaux d'une femme voilée, mais pas en burkini, sur une plage de Nice, publiées en Une du New York Times, avaient suscité un immense émoi. La presse allemande avait évoqué une "guerre de religion" et le maire de Londres Sadiq Khan estimé que "personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter".
Le burkini s'inscrit dans un débat récurrent en France sur la place de l'islam, émaillé de polémiques et de lois. Le pays a été le premier en Europe à interdire, en 2010, le voile intégral dans tout l'espace public. Le foulard islamique avait auparavant, en 2004, été banni dans les écoles, collèges et lycées publics.
Les arrêtés municicipaux vont encore plus loin. Sans mentionner le terme de "burkini", ils exigent le port sur les plages de tenues respectueuses "des bonnes moeurs et de la laïcité", mais ce sont bien les tenues de bain islamiques qui sont visées.
Plusieurs maires ont fondé leur décision sur la nécessité de garantir "l'ordre public", menacé selon eux par des tenues "manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse". Et ils ont fait valoir le contexte particulièrement tendu sur le littoral méditerranéen, depuis le sanglant attentat jihadiste qui a fait 86 morts à Nice le 14 juillet.
Inacceptable pour la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont l'avocat Me Patrice Spinosi a dénoncé jeudi une "atteinte à la liberté de conscience et de religion". Mercredi, le Conseil français du culte musulman (CFCM) avait lui fait part au gouvernement de la "forte émotion et forte inquiétude" des musulmans de France.
A dix mois de l'élection présidentielle et dans un pays qui s'enflamme régulièrement sur la place de l'islam, la classe politique s'est engouffrée dans le débat.
L'ex-président français Nicolas Sarkozy, candidat aux primaires de la droite, a réaffirmé jeudi son rejet du burkini, qu'il a qualifié de "provocation", et proposé de prohiber aussi les signes religieux dans les entreprises, les administrations, les universités.
Le parti d'extrême droite Front national a dans la foulée demandé d'étendre à l'ensemble de l'espace public l'interdiction du port du voile.
Au sein du gouvernement, la question divise. Deux ministres ont condamné les décisions des maires, à contre-courant de la position du chef du gouvernement Manuel Valls qui les soutient au nom de l'ordre public.
Féministe et opposée au burkini, la ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem a estimé que "la prolifération" des arrêtés n'était "pas la bienvenue", tandis que sa collègue de la Santé, Marisol Touraine, y voyait une "stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays".
Ces arrêtés "ne sont pas une dérive" a rétorqué M. Valls, pour qui il n'est toutefois pas question de légiférer.
26 août 2016
Source : AFP