«Tout le monde vient «d’ailleurs», tout le monde va «ailleurs». C’est pourquoi l’étranger d’aujourd’hui tout comme celui d’hier ou d’avant-hier est, lui aussi, chez lui ici». Cette citation est tirée de « Itinéraires interdits », un récit du journaliste-écrivain algérien Chahreddine Berriah qui avait accompagné des Subsahariens du Mali à Mellilia en passant par le désert, les campements d’immigrés de Maghnia et d’Oujda. Cette poignée de mots résume parfaitement l’état d’esprit du Subsaharien installé en Espagne. Elle décrit aussi sa ferme conviction d’assumer sa condition de citoyen et voisin mais aussi son engagement à s’intégrer dans sa société d’accueil.
Une enquête menée à Madrid avec le soutien de l’Institut PANOS Afrique de l’Ouest (IPAO) a apporté une foule de données qui nous ont obligé à revoir nos hypothèses initiales concernant l’attitude de la société réceptrice à l’égard des Subsahariens. Bien que l’échantillon soit réduit (une quarantaine de questionnaires), ceux-ci assurent que l’ambiance de convivialité au sein de la société espagnole est exceptionnelle. Ils se considèrent ainsi citoyens forts de leurs droits universels comme s’ils étaient «chez eux». C’est ce que les résultats de l’enquête ont révélé en dépit de leur marginalisation au marché du travail et leur invisibilité dans les médias. Avec cette prémisse, l’évidence empirique démontre qu’aussi bien le chercheur que le journaliste ne doivent pas se fier aux apparences dans l’étude de la réalité sociale. En cette circonstance, il est possible de nous demander si l’Espagne a réussi le passage de pays de migrants à celui d’accueil en dépit de la récession économique. Jadis émetteur de main-d’œuvre, ce pays s’est confortablement adapté aux mouvements migratoires depuis son adhésion à l’Union européenne. En l’espace de trois décennies, sa population compte 9,51% d’étrangers (4.418.898 personnes au 1er janvier 2016 dont près de 200.000 Subsahariens et 766.622 Marocains), et plusieurs dizaines de milliers d’autres ont accédé depuis à la nationalité espagnole. Reste à vérifier le degré d’intégration des minorités étrangères. Le débat sur l’acceptation de l’Autre et le multiculturalisme est encore ouvert du fait que l’expérience de l’Espagne en matière d’immigration se situe à la croisée des chemins. Les modèles migratoires tentés dans d’autres pays (insertion, assimilation ou melting-pot américain), dont la construction était historiquement unie aux mouvements migratoires, constituent ainsi une référence valable pour réussir sans cataclysmes humains l’intégration des immigrés dans sa société. Eu égard à son arrivée tardive, le collectif subsaharien peine à se positionner dans le kaléidoscope des communautés étrangères qui peuplent les villes, centres commerciaux, écoles et entreprises. « Je travaille d’arrache-pied, de jour en jour pour survivre et créer un foyer propre», reconnaît spontanément Moussa, un Mauritanien de 34 ans (célibataire). Les rapports avec la population autochtone et d’autres collectifs d’étrangers sont corrects et cordiaux, disent-ils. «Personnellement, je n’ai jamais eu de problème avec des groupes xénophobes, ni jamais été agressé, ni persécuté sur la voie publique», affirme Sidi Jobe (Gambie, 25 ans, 18 mois en Espagne) qui qualifie ses voisins espagnols de «sympathiques et solidaires». Touré (Côte d’Ivoire, 7 ans en Espagne) a eu moins de chance avec des Dominicains qui l’avaient une fois injurié et rouillé de coups.
Itinéraires sans fin
La plupart des Subsahariens que nous avions interviewés sur des places publiques, aux stations métro ou dans des cafés sont porteurs de valeurs culturelles, de récits dramatiques et de rêves jamais réalisés. Ils se souviennent avoir embarqué dans des filières au sort incertain et légué leur destin à des négriers, passeurs et intermédiaires ripoux. Après les affres endurées durant la traversée des déserts malien, algérien et mauritanien, et dans les forêts limitrophes de Nador, Tanger et Tétouan, le Subsaharien s’empresse de contempler le Rocher de Gibraltar à travers les barrières hérissées de fils barbelés posées autour de Sebta et Mellilia. Pourtant, il ne désarme pas et prend son destin en main. Il foule finalement le sol européen, l’autre rive de la Méditerranée. C’est l’objectif d’un projet migratoire qui n’est pas près de s’achever.
Morales Garcia, universitaire et secrétaire général de l’ONG Andalucia Acoge nous décrit en peu de mots cet état d’esprit : «Nous sommes en face de trois situations en ce qui concerne les Subsahariens, à savoir une offre minimum en 2005, une option précrise avant 2007, et, des entraves bureaucratiques et la corruption qui rendent difficile leur installation en Espagne ». Certains Subsahariens devaient séjourner dans un Centre d’internement d’étrangers (CIE), la pire épreuve que risque de subir tout immigré. Les CIE sont « malheureusement une forme de criminaliser les immigrés, une sorte d’exclusion des sans-papiers », observe Danaé Garcia Lopez, de la Commission juridique de SOS Racismo de Madrid. Par exemple, le CIE d’Aluche à Madrid abrite une grande majorité de Subsahariens déportés de l’Andalousie où ils sont internés pendant soixante jours. « C’est là où interviennent les ONG en leur apportant un soutien psycho-social, une assistance juridique, des médicaments et vêtements. Ils souffrent énormément faute de visites, de moyens, de médecins mais aussi d’heureuses perspectives », explique la juriste qui déplore les conflits parmi des Subsahariens et avec d’autres collectifs internés. Ils découvrent l’atrocité de coexister avec des sans-papiers de diverses nationalités, parfois violents. « Les problèmes d’ordre administratif sont fréquents parce qu’ils souffrent du racisme bureaucratique pour les difficultés linguistiques, en comparaison, par exemple, avec les Latino-Américains », constate-t-elle. Le suivi de chaque cas et l’intervention « en cas d’insultes pour des motifs raciaux est une mission qui déborde le cadre humanitaire », soutient la juriste. Antonio Freijo, directeur de l’Association «Karibu. Amis du peuple africain», se révolte contre le CIE, un système, dit-il, «qui a totalement échoué parce qu’il abrite des Subsahariens détenus sans possibilité d’expulser ni de régulariser leur situation». Il est «absurde de retenir un Subsaharien sans papiers en règle et le conduire par la suite au CIE sans avoir commis de délit », ajoute-t-il. Même attitude exprimée par Medinaceli Parrilla, porte-parole à Murcie du collectif «Vivre ensemble sans Racisme», qui insiste sur «le travail éducatif de sensibilisation de la société et le soutien des Subsahariens internés des CIE».
Dans un parc à Alcobendas (20 km au nord de Madrid-Centre), un groupe de jeunes vendeurs ambulants subsahariens prennent une pause à l’issue d’une journée sans horaire de travail fixe. «Nous méritons un hommage de la part de tous pour être encore en vie », lance Fran (31 ans, séparé), ce Camerounais qui avait gagné Sebta à la nage en 2011. Les récits ont des points communs et leurs protagonistes sont victimes des conséquences du « pillage du tiers-monde », comme l’expliquait Pierre Jalée dans les années 70. Mais aussi des guerres ethniques, fratricides, confessionnelles ou de frontières qui déchirent l’Afrique. « Bref, une plèbe ne jurant que par le départ vers le Nord, aussi loin que possible», lit-on dans « Labyrinthes interdits ». Ils l’admettent avec beaucoup d’amertume puisque leur destin, depuis l’abandon du foyer familial, leur échappe des mains. «Je suis franchement frustré, désemparé et sans espérance», enchaîne Moussa (34 ans, sept ans en Espagne). Ce Mauritanien s’attendait à « autre chose, tel un boulot bien payé ». Dans une société européenne qui est prête à consommer n’importe quoi et à n’importe quel prix, la fin de leur récit est encore loin. Ils le savaient dès qu’ils avaient atteint la côte Nord du Maroc « avant de faire le dernier saut vers l’eldorado rêvé ou, plus concrètement, l'inconnu », note Berriah.
Ce qui est certain est que le flux de Subsahariens est «incessant». Les derniers arrivants «survivent tant bien que mal mais d’autres ont accédé à la nationalité espagnole ou sont en situation régulière », note Medinaceli. Pendant les premières années de la prospérité économique et des grands flux migratoires, le poids de la population subsaharienne au Pays basque, par exemple, était relativement bas, note Gorka Moreno, directeur de l’Observatoire basque d’immigration. Depuis « nous avions constaté des éléments qui facilitent leur enracinement, comme la connaissance de la langue ou la possession de certaines habilités associées au capital humain », se félicite ce professeur universitaire.
Pas de psychose de l’immigration
Pour le Subsaharien, le combat pour intégrer le marché du travail n’a pas de date de caducité. Il est permanent, dur et long. « Je suis en instance de régulariser ma situation après 11 ans de séjour non autorisé», déplore Rambo (Nigeria, 45 ans, célibataire). La convivialité est, par contre, l’ingrédient de base pour réussir une communication sans accroc ni malentendu au sein de la société d’accueil. « Franchement, mes contacts avec les voisins, sont amicaux. Je n’ai jamais eu de heurt avec personne dans mon quartier », affirme Stella (Nigeria, 35 ans, mariée, 11 ans en Espagne). «Souvent, je cède volontairement ma place au métro à une personne plus âgée ou enceinte ; c’est une règle non écrite dans toutes les cultures», se souvient Stella. La proximité citoyenne est désormais une constante dans les rapports sociaux dans la mesure où nul citoyen ne peut être victime ni d’attitude de rejet, ni de discrimination, ni de dénigrement. C’est du moins ce que proclament les acteurs sociaux et politiques. La régulation et la garantie des droits des immigrés constituent une question fondamentale dans l’arsenal juridique depuis l’adoption de la Loi 4/2000 qui consacre l’intégration des étrangers et la répression de l’emploi des sans-papiers. A cause du prolongement de la crise, de l’effondrement des secteurs employant une nombreuse main-d’œuvre étrangère et du durcissement des mesures de lutte contre l’économie souterraine, l’immigré n’est plus perçu comme une menace au marché du travail. Au contraire, il est consommateur de biens, producteur de richesses et élément indispensable dans l’équilibre démographique et économique. C’est dans ces conditions que se renforce la convivialité des races et des cultures. D’ailleurs, le préjudice et la discrimination déclineraient, suivant un ordre décroissant, vers les Gitans, les Maghrébins, les Sud-Américains, les Africains et les Asiatiques, relève l’universitaire catalane Carlota Solé dans une enquête sociologique intitulée « Racisme, ethnicité et éducation interculturelle ». Bien qu’il soit un collectif minoritaire au Pays basque pour se situer « quantitativement très loin derrière les communautés latino-américaine, maghrébine ou européenne», il se concentre dans les zones urbaines avec une forte proportion de Nigérians et Sénégalais «employés dans le secteur industriel ou halieutique », note le sociologue basque Gorka Moreno.
D’autant plus que seuls 3,3% des Espagnols interrogés considèrent l’immigration comme principal problème dans leur pays, selon le baromètre d’opinion de juin dernier du Centre des investigations sociologiques (CIS, officiel). Au plan social, le brassage ethnique se confond avec le multiculturalisme. C’est l’expression la plus claire de la reconnaissance du rôle des étrangers au niveau de la participation sociale dans la mesure où la loi leur garantit le droit d’association, de réunion et de manifestation au même titre que les Espagnols. En dépit des difficultés de « leur insertion adéquate à cause du haut indice de vulnérabilité » au marché du travail, les Subsahariens sont «positivement appréciés par la population basque» par rapport aux autres étrangers, retient Gorka Moreno. Contrairement à certains stéréotypes et attitudes mal fondés à leur égard, des indicateurs montrent, soutient l’universitaire basque, qu’ils ne «sont pas totalement négatifs puisqu’ils ont la réputation de bons travailleurs».
Outre les lieux du travail, le Subsaharien est partout présent: aux réunions des associations des parents d’élèves, de résidents ou de collèges syndicaux. La socialisation et la reconstruction identitaire s’opèrent automatiquement à travers la scolarisation de leurs enfants, la vie en groupe et les rapports de proximité surtout dans les lieux de résidence. Rares sont les Subsahariens qui ont mentionné, dans les entretiens en profondeur, des incidents avec les voisins ou colocataires. Ceci témoigne de leur enracinement effectif, de l’adaptation au style de vie local et leur parfaite adhésion à la société d’accueil. Si le Subsaharien éprouve de grandes difficultés d’accès à un emploi, il rencontre cependant moins de réticence de la part des bailleurs ou voisins autochtones, comme l’admet la Nigériane Stella. En adhérant à la doctrine des droits de l’Homme, l’Espagne s’engage par le biais d’un arsenal juridique en avance sur celui des systèmes qui reconnaissent les partis politiques de tendance raciste et xénophobe, à promouvoir et consolider une société multiculturelle où les étrangers jouissent de leurs droits de citoyens. De là, l’immigré est à la fois collègue, voisin et coéquipier. «La population normale exprime des attitudes positives à l’égard des Subsahariens», reconnaît le directeur de l’Association madrilène «Karibu. Amis du peuple africain». Ceci revient au fait qu’en Espagne, les étrangers ont des droits fondamentaux inhérents à la dignité humaine. La Constitution leur reconnaît, au même titre qu’aux Espagnols, les droits de liberté de circulation, participation publique et réunion, manifestation et association conformément aux lois qui les régulent pour l’ensemble des citoyens.
Convivialité, multiculturalisme et récession
Convivialité et multiculturalisme sont deux concepts qui vont de pair dans les essais et travaux de recherche sociologiques qui s’occupent de la condition de l’immigré dans la société d’accueil. Bien qu’ils soient de difficile définition, ils sont largement utilisés dans les sciences sociales et les médias pour désigner la fusion des intérêts de différents groupes pour faciliter la communication et la coexistence. La confusion paraît aujourd’hui plus atténuée depuis que des travaux empiriques avaient permis de démontrer que les sociétés modernes sont désormais mieux préparées pour transcender les conflits internes, y compris ceux de connotation ethnique, raciale ou de voisinage. Leur application à la question migratoire renvoie aux rapports intercommunautaires pour analyser le degré d’intégration socioprofessionnelle des immigrés au sein de la société espagnole. En principe, l’intégration est définie selon le succès ou l’échec de l’immigré dans son projet comme étant un processus intégral et complexe qui implique tous les actes de l’individu et de la société réceptrice. A la lumière des entretiens que nous avions eus avec certains Subsahariens, l’intégration de ce collectif peut être évaluée selon le degré de compatibilité entre sa culture et celle de la société d’accueil, l’attitude des autochtones à son égard (rejet ou acceptation), l’adaptation de sa famille dans son nouvel environnement social et les perspectives d’avenir (retour-permanence). La plupart d’entre deux expriment, malheureusement, une profonde déception de leur séjour devant les difficultés d’accès à un emploi stable et bien rémunéré. D’autres optent carrément pour le retour à leur pays après avoir réalisé les objectifs de leur projet migratoire (obtention de documents en règle, capital de départ et garanties de sécurité au «bled»).
La récession économique dure depuis 2007 alors que la rareté d’opportunités d’emploi à cause de la forte concurrence des autochtones et autres collectifs d’étrangers s’exaspère. La restructuration du modèle économique espagnol réduit la dépendance des secteurs sollicitant une nombreuse main-d’œuvre étrangère peu qualifiée. Sont autant de facteurs qui incitent désormais le Subsaharien à prospecter d’autres alternatives. Amougou Herman (Cameroun, 40 ans, dont 5 ans en Espagne, marié) est l’exemple de Subsaharien à citer comme victime de la récession en Espagne. Ce professeur de langues, détenteur d’un master et d’un diplôme d’expert de l’immigration de l’Université Rey Juan Carlos de Madrid, s’est rebiffé contre le spectre de la précarité en décidant en 2013 d’aller s’installer en France. « Les perspectives d’emploi en Espagne n’étaient pas réunies à cause de la crise économique. Mon intérêt était d’aller ailleurs », se lamente-t-il dans un entretien téléphonique. D’ailleurs, reconnaît-il, l’Espagne était « pour moi seulement un pays de transit. Je comptais m’installer en Europe Centrale ». Actuellement, il exerce son activité de professeur, à Paris.
La médiatisation de l’immigration en Espagne se focalise de plus en plus, en cette phase de récupération économique, sur l’image du clandestin, de l’Africain et du sans-papiers. En dépit de la mobilisation de la société civile en faveur d’une société multiculturelle, les Subsahariens demeurent victimes d’une discrimination salariale par rapport aux autochtones et d’autres collectifs d’étrangers effectuant le même travail au sein de la même entreprise. Porteurs de certaines valeurs culturelles, ils exigent la reconnaissance de leurs droits fondamentaux y compris le même traitement que les nationaux au marché du travail. Le racisme institutionnel alimente ainsi le racisme social dont se nourrissent l’extrême droite et le fascisme, met en garde SOS Racismo de Madrid qui condamne les critères utilitaristes qui considèrent l’immigration comme main-d’œuvre utile en époques de croissance et peu désirée en temps de crises. C’est la raison pour laquelle de nombreux Subsahariens exclus du marché du travail sombrent dans la précarité dans l’attente de régulariser leur situation, partir ailleurs ou retourner dans leur pays.
Malchance
Les Subsahariens ont la malchance de débarquer en Espagne en pleine crise. Au départ, ils travaillaient dans des entreprises publiques de construction mais désormais ils doivent assumer la concurrence dans l’économie souterraine où l’entrepreneur impose ses conditions de salaire. Le travail à la tâche, qui est interdit par la loi, est très répandu et draine les sans-papiers qui sont payés en fonction de la production et à des salaires très bas. A Murcie, par exemple, l’agriculture fleurit grâce à l’exploitation de la main-d’œuvre irrégulière. A cause du haut indice de masculinisation, les Subsahariens sont confrontés aussi aux problèmes de logement où les propriétaires d’appartements imposent des loyers prohibitifs et de fortes commissions et cautions. Il existe à Murcie un bidonville totalement marginalisé et insalubre où cohabitent les immigrés.
Parra Medinaceli, Collectif vivre ensemble sans racisme.
Un no man’s land
L’Oued (sud-est de l'Algérie) est un no man’s land où cohabitaient dans la promiscuité et dans un magma de paradoxes plus de mille Subsahariens clandestins. Ceux qui étaient là depuis plus d’une année, se distinguaient par leurs haillons, leur visage décharné et un tempérament coléreux. Les nouveaux débarqués, bercés exagérément de leurs rêves inouïs, avaient encore de l’énergie de sourire et le réflexe de cirer leurs chaussures. Entre l’indifférence acquise des uns et la générosité surfaite des autres, le désespoir et le bout du tunnel pauvrement éclairé s’épousaient, s’embrassaient et s’embrasaient. Etrangement. «Sur les rives de Jorgi, je chante/ Maghnia n’est qu’une escale/Et Mellilia est ma terre promise…». Abdoullay fredonnait le refrain qu’il venait de composer. (…) Pourtant, on m’avait toujours appris que la solidarité naissait dans la misère partagée, dans la souffrance, l’insécurité, l’injustice! Martin Luther King avait-il raison de se révolter? Le doute… il n’y a pas plus méprisant que le doute! Eva l’effrontée, Camara le sadique, Abdoullay le narcissique et moi, nous étions, pourtant, assujettis aux mêmes affres des dangereuses incertitudes douloureusement ressenties à Jorgi. Mais eux, en étaient-ils conscients ? « Ne te torture pas camarade, au fond, ils ne sont pas aussi méchants que tu pourrais le penser. Seulement, l’attente et l’angoisse rendent les gens susceptibles, me fit sursauter Mohamed, un Malien qui a dû quitter son atelier de mécanique à Bamako pour tenter d’atteindre l’Europe. Extrait du récit « Itinéraires interdits » de Chahreddine Berriah, publié
en 2012 aux Editions Le Chasseur Abstrait
La crise
Avec la crise, l’Espagne devient une gigantesque machine à fabriquer des clandestins condamnés à survivre dans le secteur informel, sans plus aucun droit. Par ailleurs, l’État-providence s’affaiblit, ce qui la conduit à réduire les aides aux politiques d’intégration et les aides sociales, aiguisant les rivalités entre immigrés et autochtones pour l’accès aux ressources sociales encore disponibles. Il s’ensuit une dégradation inévitable des relations entre autochtones et immigrés. Christian Demange, «La question de l’immigration en Espagne. Le choix de l’interculturalité».
30 Août 2016ة Mohamed Boundi
Source : Libération