vendredi 22 novembre 2024 15:51

Soixante ans d'immigration française dans les foyers Adoma

Le 9 août 1956 naît la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens, la Sonacotral, avec pour fonction de construire des foyers pour les travailleurs migrants algériens qui vivent dans des bidonvilles comme ceux de Nanterre. Les structures se veulent provisoires : on pense alors que les travailleurs repartiront vivre en Algérie. Bien au contraire, durant les soixante années qui suivront, les missions de la société ne vont cesser de se multiplier.

Rebaptisée Adoma en 2007, elle gère aujourd’hui 167 foyers de travailleurs migrants, 369 résidences sociales et 174 centres d’accueil de demandeurs d’asile. La photographe Florence Brochoire raconte, à l'aide d'une série de portraits, la diversité des habitants de ces résidences pas si provisoires.

Yahia Belkacémi vit au foyer de travailleurs migrants d’Evreux (Eure), dans le quartier de la Madeleine.

Yahia Belkacémi a quitté l’Algérie pour venir en France à l'âge de 19 ans. Il fait partie de la première génération des occupants des foyers de travailleurs migrants. Aujourd’hui retraité, Yahia a travaillé longtemps dans les usines Renault de la région, puis comme chauffeur routier. Il vit toujours dans un foyer d'Evreux (Eure).

Les premiers travailleurs migrants, aujourd’hui retraités et que l’on nomme souvent les chibanis («cheveux blancs», en arabe), sont autour de 30 000 à toujours vivre dans ces foyers et résidences sociales en France.

Diong Gomis vient de Casamance, une région du sud-ouest du Sénégal où vit toujours sa famille. Il représente la deuxième vague d’arrivées dans les foyers : l’immigration subsaharienne. Agé de 64 ans, il fait régulièrement des allers-retours entre sa chambre de 9 mètres carré et la Casamance. Il ne peut y retourner définitivement, sous peine de perdre sa retraite payée par l’Etat français. Même s’il vit à Evreux depuis quarante ans, il ne maîtrise pas le français et ne peut lire aucun papier administratif.

Depuis le lancement du grand plan de traitement des foyers en 1997, les foyers de travailleurs migrants (FTM) doivent disparaître et être remplacés par des résidences sociales dans toute la France. Pour se démarquer de la très mauvaise image des foyers Sonacotra et symboliser ce tournant, l’entreprise a changé de nom et est devenu Adoma en 2007.

Les chambres sont transformées en studios avec toilettes, douche et cuisines intégrées, mais les espaces collectifs sont réduits au minimum, voire supprimés. Parmi les changements importants, les résidents signent désormais un bail pour un an, renouvelable une seule fois. Deux ans maximum au terme desquels ils devront avoir trouvé un logement pérenne. Seuls les travailleurs migrants retraités, les chibanis, conservent leurs baux à vie. Les résidences sociales se veulent également plus mixtes pour éviter les regroupements par communautés.

Le foyer Senghor, situé dans le XIIIe arrondissement de Paris, est un lieu historique fondé en 1969. Officiellement, il accueille 455 personnes mais le nombre d'occupants qui y dorment réellement est impossible à chiffrer. Il s'agit d'une population africaine, principalement malienne et sénégalaise. Chacun héberge des membres de sa famille ou des amis pour une nuit ou plus et les places tournent. Parfois, jusqu’à sept personnes dorment dans une même chambre. La suroccupation des foyers est une préoccupation majeure d’Adoma, mais Adama Konaté, le président des délégués du foyer Senghor, le martèle : «Quand tu as un neveu, un fils ou un cousin qui arrive du pays, tu ne vas pas le laisser dormir dehors ! C’est comme ça la solidarité chez nous. Ça ne changera pas.»

Le règlement d’Adoma stipule qu’il est possible d’héberger un tiers au tarif d’un euro par jour (pour une durée maximale de trois mois par an). Ce qui ne convient pas à Adama Konaté: «Nous négocions avec Adoma pour qu’ils changent leur règlement sur ce point.» En revanche, la suppression des cuisines collectives dans chaque étage n’est pas une mauvaise chose à ses yeux : «Parce que ça attire beaucoup de monde qu’on ne connaît pas. Y'en a qui dorment dans les cages d’escalier, dans les couloirs, et qui se servent de ces endroits collectifs. On a appelé la police une fois mais ça ne sert à rien, ils reviennent.»

En décembre 2016, le foyer Senghor sera fermé pour travaux. Par la fenêtre, juste en face, on aperçoit la future résidence sociale, encore en chantier, qui accueillera une partie des résidents. Mais tout le monde ne pourra pas être relogé.

Sambath Kong est cambodgien. Il a fait partie de la vague de réfugiés asiatiques arrivée en France du Vietnam, du Laos ou du Cambodge à la fin des années 70. Quand sa famille fuit le régime des Khmer rouges en 1977, il a sept ans. Après un passage à la frontière thaïlandaise, parlant un peu le français, les Kong s’envolent vers la France. D’abord installés dans un foyer d’accueil d’urgence à Herblay (Val-d'Oise), ils sont rapidement transférés au foyer Sonacotra de la rue du Quai militaire, à Limoges.

Pour éviter les tensions, les Laotiens et les Cambodgiens sont logés dans une aile du foyer, les Vietnamiens dans une autre. Sambath et sa famille restent moins d’un an. La demande de main d’œuvre ne manque pas et le directeur du foyer trouve très vite à son père un logement et un travail comme porcelainier. «Moi qui n’aime pas trop la vie en communauté, je n’ai pourtant que des bons souvenirs de cette période au foyer. Nous étions tous ensemble. Nous partagions nos repas dans la cuisine commune, nos jeux…» Aujourd’hui, Sambath vit à Paris. Comme lui, ses deux sœurs travaillent et sont bien intégrées.

Nouil Phounpradith, 53 ans, est laotien. Aujourd’hui, il vit à Paris avec sa femme et ses deux enfants. «Dans ma famille, nous étions neuf enfants. Pour fuir la guerre, ma grande sœur a décidé de partir avec cinq d’entre nous. Nous sommes arrivés d’abord à la frontière thaïlandaise, puis nous avons été dirigés vers la France. Quand je suis arrivé dans le foyer du Quai militaire à Limoges en 1976, l’époque était très différente de celle qu’on traverse aujourd’hui. Certes, nous étions réfugiés mais nous avions des papiers, des visas, des passeports. Nous arrivions en France en avion, nous n’avions pas à forcer les frontières comme les migrants maintenant.»

«Il y avait du travail et de la place dans les centres d’accueil. A l’époque, à part quelques Africains, il n’y avait quasiment que des Asiatiques dans le foyer. L’ambiance était très bonne. Je me souviens que le directeur organisait des fêtes. Nous avons quitté le foyer quand le directeur nous a trouvé un logement et un travail pour ma grande sœur. Moi, j’ai suivi un cours de français pour les étrangers dans une classe spéciale, puis j'ai fait des études. Je n’ai pas senti de racisme de la part des Français à l’époque. Il n’y avait pas beaucoup d’étrangers.»

Angela et sa fille Sabina, 10 ans, Résidence sociale de la Basse Chênaie, Nantes,29 et 30 juin 2016.

Angela et sa fille Sabina ont quitté Grozny, la capitale de la Tchétchénie, en août 2011. Son frère était recherché par la police russe et toute la famille a subi des menaces de mort. Après l’assassinat de son père, Angela fuit avec sa fille dans le camion d’un passeur dont elle ignore la destination. Il les dépose en France. Après un passage dans un Cada (Centre d'accueil pour demandeurs d'asile), Angela obtient le statut de réfugié.

La mère et sa fille sont logées à Nantes, dans le quartier de Doulon. Angela aimerait travailler comme vendeuse, mais elle sait qu’il lui faut une meilleure maîtrise du français pour y parvenir. Elle verrait bien sa fille devenir médecin. Pour l'heure, même si Sabina s’ennuie parce qu’il y a peu de familles dans la résidence, elle aime l’école et s’est fait des copines. Elle parle parfaitement le français et fait de la danse classique au conservatoire. Sa mère vient de rencontrer un nouveau compagnon mais n’est pas prête à se marier pour le moment.

Réfugiés politiques en France, David et Dali Dzodzuashvili viennent de Géorgie. Ils ont dû quitter leur pays à cause d'activités militantes contre la Russie, sur lesquelles David ne veut pas donner de détails, par peur des représailles. Le couple a quitté son pays, où Dali était professeur d'allemand, à bord d'un camion polonais, sans savoir où il allait. Une fois à Paris, David a décidé, avec sa femme, d’essayer de s’installer en France. D’abord, il y a eu les nuits dans la rue, puis en foyer d’urgence. Enfin, l'association France terre d’asile leur a trouvé un logement à Déville-lès-Rouen (Seine-Maritime).

C’est à ce moment-là que leur fils Lazaré est né. Maintenant qu’ils ont des papiers, ils ne veulent plus retourner en Géorgie. Même si ce statut de réfugiés leur pèse : ils ont peur que cela renvoie une mauvaise image de leur pays. David fait tout pour retrouver une activité professionnelle. Il est inscrit à Pôle Emploi mais n'a pas encore pu trouver de travail. Alors, pour gagner un peu d’argent et ne pas rester inactif, il exerce sa passion, la marionnette, dans les rues de Rouen. La mairie lui a cependant refusé l’autorisation de se produire, et il risque une amende à tout moment.

Yahya Aboukabar Daoud a quitté le Soudan pour fuir la guerre. Il est arrivé en Grèce où il a travaillé. Mais sans papiers, la police l’arrêtait très régulièrement. L'homme de 31 ans décide alors de partir en Suède, où il doit fournir ses empreintes digitales. C’est là-bas qu’il rencontre sa femme Muna et que naît sa fille Fatuma. Mais à cause du règlement européen de Dublin II, qui oblige les migrants à faire leur demande d’asile dans leur pays d’arrivée, Yahya est renvoyé en Grèce. Ce n’est qu’en 2013 que toute la famille parvient à se retrouver en France.

Muna, la femme de Yahya, est éthiopienne. Quand elle quitte sa terre natale en direction de l'Europe, pour elle, «peu importe le pays d'arrivée». Elle vit d'abord en Suède, avant de rejoindre la France pour y retrouver son époux. Grâce à Fatuma et son école, Muna rencontre d’autres personnes des immeubles alentours. Mais pas dans la résidence, où il y a surtout des hommes seuls, jeunes et vieux. Il y a souvent des bagarres. La famille voudrait partir pour être installée dans une maison mais pour le moment, elle attend. Le titre de séjour de Muna expire le 10 avril prochain. Elle espère obtenir un titre de séjour plus long qui lui permettra de travailler. S’ils ont tous des papiers, ils resteront en France.

Initialement réservées aux travailleurs migrants, les structures d’Adoma se sont ouvertes au fil des années à de nombreux publics. Désormais, les Français – jeunes précaires, célibataires ou familles monoparentales – font partie des résidents hébergés. Gaëlle est arrivée dans cette résidence flambant neuve du XIIe arrondissement de Paris en août 2015. Le lieu est réservé aux jeunes âgés de 35 ans maximum en insertion professionnelle et aux jeunes actifs précaires. La jeune femme, 21 ans, a une histoire familiale compliquée.

Placée dès son plus jeune âge, elle connaît bien les foyers. Aujourd’hui, elle travaille comme animatrice dans une école, métier qu’elle affectionne particulièrement. Mais trouver un logement à Paris avec son petit salaire, c’était compliqué. Sa grand-mère l’a alors poussée à faire une demande sur le site d’Adoma. Gaëlle n’aurait jamais cru que son rêve puisse se réaliser : avoir son propre appartement. Elle appréhende juste la fin du bail de deux ans : «Je pense quand même qu’ils ne peuvent pas nous mettre à la porte. Sinon c’est retour à la case départ.»

Seyed-Asghar le père, Rahima la mère, Ali le fils de 13 ans et Soraya la fille de 11 ans, viennent d’Afghanistan. Issue de la minorité chiite hazara du pays, la famille a fui les talibans et est arrivée en France il y a six mois. Les Sajadi sont hébergés de manière provisoire dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile situé en pleine zone rurale, à une heure de Toulouse. Ils doivent notamment préparer leur dossier pour l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Ce rendez-vous sera déterminant pour l'obtention du statut de réfugié. En 2015, seules 23% des demandes ont reçu une réponse positive de l'Office. En attendant, chacun trompe l’ennui comme il peut. Soraya a intégré une classe de FLE (français langue étrangère) dans l’école du village avec les autres enfants du Cada. Ses parents suivent également des cours.

Chaque soir, Soraya écrit une lettre dans sa langue maternelle, le dari, à un destinataire en Afghanistan qu'elle veut garder secret. Bien à l'abri dans une boîte qu'elle a personnalisée, elle espère un jour remettre toute cette correspondance à son destinataire, quand elle sera dentiste et qu'elle ira exercer son métier là-bas. ( Voir les Photos dans la source de l’article)

14 septembre 2016, Florence Brochoire

Source : Libération.fr

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