"C'est dangereux oui, car on marche la nuit. La nuit, la police ne peut pas nous +voyer+", explique Moubarak, 25 ans, originaire du Darfour, région du Soudan déchirée par la guerre depuis des années. C'est la troisième fois qu'il se retrouve au camp de la Croix-Rouge de Vintimille pour tenter de passer en France.
Deux fois déjà, il a été remis à la police italienne, qui l'a renvoyé à Tarente, à la pointe sud de l'Italie.
A Vintimille, cul-de-sac pour les migrants africains en route pour la France, l'Italie continue d'apporter une aide humanitaire mais les opérations de police se multiplient --sans pour autant les dissuader.
Moubarak raconte qu'il a vécu dans un camp de réfugiés au Tchad, où il a appris le français, puis en Libye, instable depuis l'intervention de l'Otan: "Mais on a trouvé la même situation qu'au Soudan, la guerre".
Il est assis dans la queue pour obtenir du savon et de la lessive. Un employé de la Croix-Rouge distribue plus tard des tongs orange. D'autres migrants attendent pour une consultation avec un médecin ou ressortent avec des pansements. Beaucoup souffrent de bronchites ou de blessures, notamment aux pieds.
Depuis mi-juillet et l'ouverture de ce camp de la Croix Rouge à la sortie de Vintimille, seules les femmes et les familles logent encore à l'église San Antonio, ouverte fin mai après un appel du pape.
Un temps dépassée, la mairie vit avec soulagement l'intervention de la police et de la Croix-Rouge. Des tentes, des préfabriqués sont posés en bordure d'une voie ferrée désaffectée, prévus au départ pour 360 places mais qui, la semaine dernière, ont vu défiler 800 migrants par jour.
Tous ceux qui le souhaitent sont accueillis: pas besoin de formaliser une demande d'asile que bien peu veulent déposer en Italie, pays où plus de 130.000 personnes ont débarqué depuis le 1er janvier. La plupart ne s'arrêtent que pour repartir. "Ils pensent que la France est le pays des merveilles. La situation à Calais fait comprendre que ce n'est pas aussi simple", souligne Daniela Zitarosa, aide juridique.
"Les choses se sont bien améliorées depuis deux mois, c'est plus organisé", se félicite le maire Enrico Ioculano: "Chaque jour, il y a des transferts (pour ramener les migrants dans le sud, ndlr). Mais il y en a tellement qui reviennent, qui essaient et qui réessaient".
"Je peux comprendre l'attitude de la France mais je ne la partage pas. Nous, à la longue, les personnes qui restent, on les connaît. Vous, celles qui passent, vous ne savez pas qui c'est", dit-il. En août, l'Italie a affrété pour la première fois un avion pour expulser vers Khartoum une cinquantaine de Soudanais.
Au camp, c'est Ali Zaid, un Marocain de 20 ans, qui a le plus de chance de réussir son passage --même s'il ne vient pas d'un pays en guerre-- car il a la peau claire. Il a quitté Marrakech en quête de travail. "Je suis là depuis une semaine, j'attends la chance".
Mohammed Marbi, 28 ans, lui, rumine sa colère: "Je vais essayer, je n'arrêterai jamais". Soudanais, il a toujours vécu en Libye et s'exprime bien en anglais. "J'ai travaillé comme traducteur à Tripoli mais il y avait même pas 10 dollars à la fin du mois. (...) On veut au moins une chance. Il n'y a pas de travail là-bas et parfois on voit passer une balle perdue juste sous son nez", mime-t-il.
Des lits de camp supplémentaires ont été tirés sous la bretelle routière, là où est normalement installé un coin prière. Des vêtements sèchent, des hommes balaient.
"Quand l'hiver arrivera, il faudra trouver une solution. Le soir, il fait déjà froid", commente Fiametta Cogliolo, l'attachée de presse de la Croix-Rouge qui salue les migrants d'un "Hi, my friend!" sonore et amical. "Vous voyez c'est propre", souligne-t-elle. "Et je dors là, ma porte est toujours ouverte. (...) Il y a quelques fortes têtes mais ils résolvent ça entre eux".
"C'est le chien qui se mord la queue. Ils ne parviennent pas à comprendre, car il y en a tellement qui arrivent en France et si l'un réussit, les autres pensent, +j'y arriverai aussi+", conclut-elle.
19/09/2016
Source : AFP