L’affaire de Lamia Mouatamid est désormais close. Elle vient de bénéficier d’une grâce Royale. La décision a été prise il y a trois jours et son retour au Maroc a été retardé à cause de certaines procédures administratives. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, d’autres filles marocaines condamnées à des peines d’emprisonnement de deux et quatre ans seront également extradées vers le Maroc.
Un heureux épilogue que beaucoup d’autres femmes marocaines émigrées en Arabie Saoudite souhaitent ardemment à leur tour. En effet, les prisons saoudiennes comptent plusieurs femmes en détention sans jugement ou celles qui ont purgé leurs peines et qui attendent leur extradition. « La prison de Dahban où a été incarcérée Lamia compte à elle seule près de 121 Marocaines et celle de Chamisi des dizaines d’autres en attente de leur extradition. Une procédure qui dure souvent longtemps tant que le dossier de l’intéressée n’est pas clos par le Bureau du travail ou jugé par un tribunal », nous a indiqué une source proche du dossier en Arabie Saoudite. Et de préciser : « Il y a également les nombreux cas de femmes innocentées par les tribunaux mais qui sont toujours dans les prisons saoudiennes ou celles qui ont été jugées et qui ont purgé leurs peines respectives mais à qui l’ambassade ne voulait pas délivrer des laissez-passer. On compte 80 Marocaines travaillant comme domestiques qui sont en instance depuis un an et demi et sont toutes poursuivies pour prostitution sans être jugées et arrêtées lors des soirées ».
Khadija, 30 ans, de Benslimane, en fait partie. Elle attend son procès depuis sept mois. « Un jour, je suis sortie avec une amie pour aller chez le dentiste et j’étais arrêtée en plein boulevard par « l’hay'ah » (Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice) pour délit de fuite déposée par nos kafils. Une absurdité puisque c’est mon kafil qui m’a donné de l’argent pour aller chez le dentiste. Une fois arrêtées, on a passé plus de huit heures dans un poste relevant de l’hay’ah avant d’être livrées au service de police qui nous a transférées à la prison de Dahban», raconte-t-elle. Et d’ajouter en pleurant : «Le parquet nous a poursuivies par la suite pour prostitution. Notre procès a débuté en mars dernier et dure jusqu’au jour d’aujourd’hui».
Même situation ou presque est vécue par Fatima de Tanger. Arrêtée dans une maison par l’hay’ah, son procès a duré plus de 7 mois avant d’être condamnée à deux ans de prison pour prostitution. Une accusation qu’elle nie totalement. «Ce procès a été fabriqué de toutes pièces. J’étais arrêtée avec d’autres filles que je ne connais pas ; le tribunal nous a collé le crime de constituer un réseau de prostitution. Ni le procureur ni le juge n’ont voulu m’entendre. Il n’y avait pas d’enquête ni rien du tout. Pis, je n’avais pas l’avocat puisqu’il coûte 50.000 riyals saoudiens (l’équivalent de 150.000 DH) et je n’avais pas le droit d’être défendue par un avocat d’assistance », a-t-elle témoigné. Et d’ajouter : « Nombreuses sont celles qui sont dans mon cas ; elles ont été arrêtées par l’hay’ah dans la rue, les maisons, les marchés et poursuivies dans le cadre d’un simulacre de procès».
Ces femmes sont aujourd’hui à bout de souffle. Certaines n’ont plus la force d’endurer toutes ces souffrances. Plusieurs ont tenté même de se suicider. « C’est dur à supporter ; je ne mange plus et je dors moins. Je pense à ma famille restée au Maroc dont je suis responsable, notamment à ma mère malade, ma sœur qui prépare son bac et à ma fille de 8 ans. Le comble est que j’étais emprisonnée pour rien», nous a confié Khadija.
Une situation plus dure à supporter, d’autant que les services consulaires marocains sont aux abonnés absents. Les concernées sentent souvent qu’elles sont laissées pour compte par le consulat et c’est à elles de se débrouiller seules. « Le kafil a contacté le consulat et pris ma défense mais les fonctionnaires du consulat se sont contentés de lui demander une copie du passeport mais n’ont rien fait depuis. Le consulat nous a confié par la suite qu’ils ne peuvent intervenir qu’après la fin du procès et des peines », nous a affirmé Fatima. Pis, ces fonctionnaires ont peu d’informations concernant ces dossiers. Tel est le cas édifiant du consul général du Maroc en Arabie Saoudite. Celui-ci a déclaré à un organe de presse de la place que le dossier de Lamia Mouatid est compliqué et qu’il comporte plusieurs volets avant de souligner que ses services ne peuvent pas faire grand-chose puisque ce dossier est toujours en jugement. Or une sentence de deux ans a été déjà rendue et que Lamia purgeait sa peine. « Soit il ne sait pas de quoi il parle, soit il sait des choses et qu’il tente d’induire en erreur l’opinion publique marocaine », nous a précisé notre source en Arabie Saoudite qui semble remontée contre les autorités marocaines incapables, selon elle, de défendre les intérêts des MRE résidant en Arabie Saoudite, notamment les femmes domestiques. « La grâce Royale ne va pas changer grand-chose dans le quotidien de ces femmes. Il faut une solution radicale», a-t-elle conclu.
24 Septembre 2016, Hassan Bentaleb
Source :Libération