Assis dans sa cuisine, Belek Assanbekov, qui a quitté le Kirghizstan pour venir gagner sa vie à Moscou, montre les photos de ses amis. Tous sont morts dans un incendie alors qu'ils travaillaient dans un entrepôt.
L'une de ses sept colocataires, Goulbara Boobekova, mère de deux enfants, était sur le point de finir sa journée lorsque, le 27 août, une lampe défectueuse a mis le feu à une grande quantité de produits inflammables et d'objets en papier.
L'incendie n'a laissé aucune chance d'en réchapper à cette femme de 45 ans et à treize de ses collègues kirghiz.
"J'ai appelé Goulbara, pas de réponse", se souvient Belek Assanbekov, qui a travaillé pendant plus de sept ans dans cette imprimerie située au nord de la capitale russe, dans une zone industrielle. "Je l'ai rappelée. Pas de réponse".
Cet incendie meurtrier est le dernier d'une série de drames ayant frappé les immigrés d'Asie centrale en Russie, qui doivent déjà composer avec le racisme ordinaire, les lourdeurs bureaucratiques et les faibles salaires. En janvier, douze immigrés d'Asie centrale dont trois enfants avaient péri à Moscou dans l'incendie d'un atelier de couture.
Poussés par la situation économique précaire de l'ex-république soviétique, environ 550.000 Kirghiz, soit 9% de la population du pays, travaillent en Russie. L'argent qu'ils envoient à leurs familles restées au pays représente plus de 30% du produit intérieur brut du Kirghizstan, selon la Banque mondiale.
Les autorités russes ont promis de mener l'enquête et de punir les responsables de l'incendie de l'entrepôt où est morte Goulbara.
"Il y a eu négligence, une violation des règles de sécurité anti-incendie exigées par la loi russe", admet Maxime Rechetnikov, à la tête du département d'économie et de développement de la mairie de Moscou.
"Vu l'ampleur de cette tragédie, la réaction (de la mairie) sera bien entendu sévère", assure-t-il lors d'un entretien à l'AFP.
Le procureur général a indiqué que l'imprimerie, dont le directeur s'est rendu de lui-même à la police, n'avait pas été inspectée depuis 2012.
"Ils n'ont pas tenu compte des règles anti-incendie", dénonce Baktigoul Kaldibaïeva, une ancienne employée de l'imprimerie dont le cousin est veuf depuis l'incendie.
"Les employeurs considèrent qu'ils n'ont pas à respecter les normes de sécurité là où les immigrés travaillent. Pourquoi dépenser de l'argent pour ça ?", tempête-t-elle.
Avant d'être ravagée par l'incendie, l'imprimerie payait ses employés 1,36 euros par heure. Malgré ce salaire dérisoire, elle faisait partie des entreprises que les Kirghiz se recommandaient parce que la direction payait rubis sur l'ongle.
En Russie, les immigrés sont souvent à la merci de leur employeur, qui n'hésitent pas à ne pas les payer pendant plusieurs mois, affirment les organisations de défense des droits de l'Homme.
"Les employeurs n'exploitent pas uniquement l'inégalité entre la situation des immigrés et celle des Russes, mais aussi le fait que (les immigrés) ignorent leurs droits", explique Varvara Tretiak, du Comité d'assistance civique, basé à Moscou.
Selon cette ONG qui aide réfugiés et immigrés, les tribunaux moscovites ont en 2015 prononcé plus de 58.000 ordres d'expulsion "en violant de manière flagrante les procédures judiciaires et d'autres normes".
Outre des conditions de travail difficiles, des habitations insalubres et surpeuplées, les immigrés font aussi face à un fort racisme.
Depuis janvier, au moins quatre personnes ont été tuées et 34 blessées lors de violences "à motivation ethnique" dans huit régions russes, dont celle de Moscou, assure le Centre Sova, un groupe de recherche qui étudie la xénophobie et le nationalisme en Russie.
Les immigrés subissent également le durcissement des lois sur l'immigration. Certains ressortissants d'ex-républiques soviétiques doivent désormais payer chaque mois 4.200 roubles (58 euros), soit une partie importante de leur salaire, pour avoir le droit de travailler en Russie.
Pour la mairie de Moscou, ces nouvelles mesures visent simplement à contrôler le flux migratoire.
En dépit des difficultés, Baktigoul Kaldibaïeva l'affirme: "Peu importe les noms qu'ils nous donnent, peu importe les humiliations qu'ils nous font endurer, des gens continueront à venir travailler ici".
"S'il y avait du travail au Kirghizstan, nous travaillerions là-bas avec plaisir", avoue-t-elle. "Nous ne serions jamais venus à Moscou".
25/09/2016
Source : AFP