La tragédie des migrants africains, prêts à tout pour rejoindre « l’Eldorado » européen, fascine les réalisateurs. Le cinéaste italien Gianfranco Rosi vient de signer « Fuocoammare, par-delà Lampedusa », un documentaire qui campe admirablement le quotidien des migrants et les dangers auxquels ils font face dans leur odyssée vers l’Europe où ils vont chercher un hypothétique bonheur. On se souvient aussi de « The land between » du réalisateur australien David Fedele qui fait partager le dur quotidien des candidats à l’émigration retranchés dans la forêt de Gourougou, sur les hauteurs de la ville de Nador qui surplombe Melilla, l’enclave espagnole au cœur du Maroc.
Au Festival international du film francophone de Namur (Fiff), un autre documentaire sur l’émigration, « Les sauteurs » (Those who jump), est présent dans la programmation. Ce film est coréalisé par l'Allemand Moritz Siebert, le Danois Estephan Wagner et le Malien Aboubacar Sidibé. En réalité, ce dernier est, lui-même, candidat à l’émigration. Les deux premiers lui ont confié une caméra, afin qu’il filme de l’intérieur le quotidien harassant et humiliant des migrants africains. Caméra au poing, il sillonne la forêt de Gourougou où vivent des centaines de Maliens, d’Ivoiriens et d’autres ressortissants d’Afrique subsaharienne. Au milieu des tentes de fortune, de chiens errants et d’ordures de toutes sortes, ils rêvent de « l’Eldorado européen », un pays de cocagne où ils espèrent trouver fortune et vie meilleure.
Une vie de galère
Trois barrières métalliques, faites de grillages de plusieurs mètres, séparent les collines de Gourougou de la ville espagnole de Melilla. Et pour corser le tout, la frontière est surveillée en permanence par des caméras infra rouges et des éléments de la Guardia espagnole décidés à ne laisser passer aucun migrant africain. Il y a aussi ces dizaines de policiers marocains qui effectuent quotidiennement des rondes pour débusquer les candidats au voyage illégal. Sur les hauteurs de Gourougou, Aboubacar Sidibé et ses compagnons d’infortune essaient de mener une vie normale faite de rêves, de cauchemars, de spleen et de joies éphémères. Pour lutter contre l’ennui du temps qui passe comme un long fleuve tranquille, ils organisent des matches de foot (comme cette rencontre surréaliste entre l’équipe du Mali et celle de la Côte d’Ivoire), essaient de régler à leur manière quelques conflits sociaux, téléphonent à leurs proches restés au pays ou fouillent dans les poubelles de la vie en contrebas pour agrémenter un menu très souvent rudimentaire.
C’est la débrouille au quotidien de milliers de desperados à la fleur de l’âge, mais qui ont déjà traversé tant d’épreuves dans leur vie de galère. En suivant leur odyssée vers une Europe en pleine crise et qui se cherche, on se surprend à se demander ce qui pousse tous ces jeunes Africains à braver tant de dangers, à risquer leur vie pour un avenir qu’ils rêvent radieux, mais dont les contours sont très souvent hypothétiques. On ne peut, non plus, s’empêcher de faire le procès des gouvernements africains dont les politiques hasardeuses ont plongé leur pays dans une insoutenable crise économico-sociale qui a jeté toute une jeunesse sur les routes incertaines de l’exil et de l’aventure. Et, forcément, on ne manque pas de jeter un regard sur l’hypocrisie et le manque de solidarité d’un Occident qui se recroqueville de plus en plus sur elle-même et qui, pourtant, est en partie responsable du fléau, à cause de cyniques politiques économiques qui ont privé le continent africain de tant de richesses dont pourraient bien profiter cette jeunesse errante et désœuvrée qui frappe à ses portes.
4/10/2016, Modou Mamoune FAYE
Source : lesoleil.sn