Les Syriens Ahmad Lababidi et Ahmed D. sont arrivés en Allemagne il y a un an comme des centaines de milliers d'autres réfugiés. Après une longue odyssée administrative, l'un tente de reconstruire sa vie, l'autre s'enfonce dans le travail au noir.
La lettre, un jargon administratif imbitable auquel il n'a rien compris, est arrivée le 30 juillet 2016. Ahmad Lababidi, 23 ans, étudiant en économie à Damas, a fait appel à un bénévole pour déchiffrer l'épais courrier lui annonçant que l'Allemagne lui accordait le statut de réfugié et donc un permis de séjour de trois ans.
Alors il a souri, une première depuis le 18 novembre 2015, quand il avait embrassé ses parents pour la dernière fois avant de faire route vers l'Europe.
"J'ai tout perdu en Syrie, ma maison, des amis, et mon université alors je rêve de reconstruire ma vie ici", explique ce frêle jeune homme dans un parc de Berlin où il vient souvent flâner.
Cours d'allemand, heures à la bibliothèque et conversations en tandem avec un Allemand : "J'ai encore tout à apprendre ici, c'est un nouveau monde", estime le jeune homme, bien décidé à réussir son intégration. Il veut reprendre ses études universitaires dès que son niveau de langue le permettra et trouver un travail, "n'importe lequel", pour se financer.
Mais avec 890.000 migrants arrivés en 2015, un record, l'administration allemande a toujours du mal à suivre pour garantir les conditions d'une intégration réussie. Et les dossiers s'amoncèlent: de 200.000 à 250.000 requêtes d'asile ne pourront pas être examinées cette année.
Pire, le professeur Herbert Bruecker de l'Institut pour la recherche sur le marché du travail (IAB) auprès de l'Agence pour l'emploi estime que seuls 30.000 à 50.000 réfugiés arrivés l'année dernière ont trouvé un emploi et tout juste 160.000 ont une place dans les "cours d'intégration", alors que l'apprentissage de l'allemand "est la clé" pour une entrée réussie dans le monde du travail.
C'est tout le problème d'Ahmed D. Ce Palestinien de Syrie sans diplôme de 36 ans, sans réelles compétences et qui vivait déjà de petits boulots à Damas avant un séjour dans un camp de réfugiés en Jordanie, n'a pas appris un seul mot d'allemand.
C'est un camarade de chambre irakien qui le guide dans ses démarches et à travers la paperasse administrative qui rythme son quotidien. Et s'il a obtenu un permis de séjour de trois ans, faute de compétences, il tourne en rond dans son foyer d'accueil entre deux cigarettes.
Pour l'une des travailleuses sociales du foyer, le faible niveau d'éducation de nombreux migrants est un frein considérable. "Certains sont analphabètes. Comment leur enseigner une langue quand ils ne savent ni lire ni écrire?", s'interroge la jeune femme.
Selon l'IAB, 35% des migrants venus en 2015 ont visité le secondaire, 25% n'ont connu que la primaire et 10% n'ont jamais été sur les bancs de l'école.
Du coup, et malgré son permis de travail, Ahmed D. s'est tourné vers les emplois au noir. Homme à tout faire sur des chantiers, payé à l'heure ou à la journée sans assurance ou fiche de paie, le risque d'être arnaqué est grand.
"J'ai travaillé pendant deux semaines et l'homme qui m'avait trouvé le boulot a fini par disparaître et je n'ai jamais touché mon argent", raconte-t-il, préférant garder l'anonymat car il travaille clandestinement.
Face à ces difficultés, la chancelière Angela Merkel a récemment appelé les grandes entreprises à faire davantage pour l'intégration des migrants sur le marché du travail, mais le processus s'annonce très long.
Côté logement aussi, tout est provisoire. Ahmad et Ahmed ont passé les neuf premiers mois de leur nouvelle existence logés dans un gymnase. A deux par "chambre": un espace sous les panneaux de basket, séparé des autres par une tenture en plastique. Trois douches communes pour 148 "locataires".
Depuis septembre, ils vivent dans un bâtiment rénové. Mais la promiscuité demeure.
"Je partage ma chambre avec un ami et un autre réfugié que je ne connaissais pas avant, qui n'est pas propre et est très bruyant", se plaint Ahmad Lababidi.
Le jeune homme a cherché désespérément tout l'été une colocation ou un petit appartement. La Ville de Berlin est prête à prendre en charge son loyer à hauteur de 364 euros. "J'ai envoyé 200 mails mais personne ne veut louer aux réfugiés", déplore-t-il.
12 oct. 2016
Source : AFP