Le gouvernement a tenté mardi 11 octobre une dernière rencontre avec les associations pour les convaincre du bien-fondé de l’opération de démantèlement du bidonville de Calais. Pour les ONG, beaucoup de questions restent encore en suspens.
Tout est prêt ou presque en vue de la grande évacuation du bidonville géant de Calais. Près de 7 000 places en Centre d’accueil et d’orientation (CAO) sont d’ores et déjà disponibles un peu partout en France, en plus des 3 000 qui existaient précédemment. C’est l’équivalent du nombre de migrants présents dans le camp de fortune, selon le comptage officiel.
D’ici à la fin du mois, le gouvernement aura atteint les 9 000 places promises par François Hollande pour « démanteler complètement, définitivement » ce site créé par l’État en avril 2015 (lire ci-dessous). Sauf report de dernière minute, l’opération doit commencer lundi 17 octobre.
Beaucoup de migrants se préparent eux aussi. La valise est devenue l’un des objets de première nécessité demandé par les exilés aux associations. Pour la fourniture d’équipements comme pour la logistique du départ, les organisations de solidarité sont un rouage essentiel de l’opération. C’est avec leur collaboration que les divers squats de la ville ont été vidés sans heurts, en avril 2015, au profit de l’actuel terrain sablonneux en périphérie nord-est de la ville. Sans le lien de confiance noué, au quotidien, par les ONG avec les exilés, le démantèlement se compliquerait sérieusement pour les autorités. Or, les organisations de solidarité ne veulent pas jouer le jeu sans un certain nombre de garanties.
« Les gens vont revenir, il ne faut pas se voiler la face »
Emmaüs France demande le report de l’opération, considérant que les conditions ne sont pas réunies. « Le gouvernement va droit dans le mur », a estimé lundi 10 octobre Thierry Kuhn, son président. « Les gens vont revenir, il ne faut pas se voiler la face, tant que nous ne serons pas capables de leur proposer une solution adaptée à leur projet », poursuit-il en dénonçant un dispositif policier « complètement démesuré ».
Du côté du ministère de l’intérieur, c’est l’« incompréhension ». Bernard Cazeneuve a reçu mardi 11 octobre les associations pour leur donner des gages concernant les mineurs non accompagnés qui ont de la famille de l’autre côté de la Manche. Selon un comptage réalisé fin août, il y aurait 861 mineurs isolés à Calais.
Pour l’heure, les autorités britanniques n’ont traité que 72 dossiers de rapprochement familial. La négociation pour renforcer cet accueil avance à petits pas. Londres s’est engagé lundi 10 octobre à accepter quelques centaines de mineurs isolés de plus. Le ministre de l’intérieur britannique, Amber Rudd, attend un recensement exact demandé à France Terre d’asile pour s’engager sur un chiffre plus précis.
« Tout le monde n’a pas pris le temps de mûrir son départ »
Mais pour les associations, il y a d’autres sources d’inquiétude, à commencer par le calendrier du démantèlement. « L’intention d’évacuer dans un temps très ramassé sera facteur de violences, car tout le monde n’a pas pris le temps de mûrir son départ », conteste Vincent de Coninck, du Secours catholique. Surtout, le ministère ne s’est pas défendu de vouloir démanteler les 2 000 places d’hébergement proposées sur place dans des conteneurs ainsi que l’ancien centre de loisirs Jules Ferry réservé aux femmes et aux enfants.
L’association La vie active, qui gère pour le compte de l’État 2 000 places d’hébergement, ne voit pas comment les mises à l’abri pourraient cesser. Selon un sondage réalisé par l’organisation pour la préfecture, près de 700 personnes hébergées ne veulent pas renoncer à leur projet d’aller en Angleterre. « J’ai toujours dit que je serais très heureux de fermer le camp le jour où il n’y aura plus de migrants, mais on a du mal à imaginer qu’il n’y aura plus personne après le démantèlement », souligne Stéphane Duval de La vie active, directeur du centre d’accueil provisoire, qui accueille encore 40 personnes chaque jour. « Nous ne sommes pas dupes, il y aura toujours une présence à traiter sur place », admet l’entourage de Bernard Cazeneuve.
Renfort de police
À la demande du gouvernement, le préfet Jean Aribaud et le président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale Jérôme Vignon ont donc renoué le dialogue avec les associations pour se mettre d’accord sur un dispositif d’après démantèlement. Côté « jungle », les associations estiment que la moitié des migrants ne veulent pas non plus aller en CAO. « On verra bien si on arrive à convaincre ou pas. Mais il n’y a pas beaucoup d’autres solutions : ceux qui refuseront le centre d’accueil iront très certainement en centre de rétention »,fait-on valoir place Beauvau.
Parallèlement à l’évacuation, le gouvernement entend continuer à « assécher » le flux migratoire en envoyant un message : « On ne passe plus à Calais ». Un renfort de 50 agents de la police aux frontières est attendu. Le gouvernement, ne remet pas en question l’accord du Touquet qui a déplacé la frontière franco-britannique de Douvres à Calais en 2003. La douane anglaise restera donc sur nos côtes, ainsi que les moyens britanniques pour sécuriser le port. Londres a débloqué un budget de 2,7 millions d’euros pour financer un mur d’un kilomètre de long et quatre mètres de haut, équipé de caméras de vidéosurveillance, afin d’empêcher les assauts de migrants sur la rocade qui mène les camions aux terminaux du port.
Échec de la répartition européenne des demandeurs d’asile
Le nombre de migrants, néanmoins, n’a cessé d’augmenter à Calais depuis le début de la crise migratoire : 2 000 en juillet 2015, puis 4 000 en septembre, 6 000 en janvier 2016, près de 9 000 aujourd’hui, selon les associations… « Le problème, c’est que Calais est devenu la principale porte d’accès aux droits et aux services humanitaire », analyse un haut fonctionnaire proche du dossier.
Cette offre, il faudra en tout état de cause la reconstituer ailleurs, avec des plates-formes d’orientation qui fonctionnent. C’était l’un des objectifs de la réforme de l’asile en 2014, avec une « orientation directive » des demandeurs d’asile dans six pôles régionaux déconcentrés. Mais l’attractivité de la région parisienne – qui concentre 41 % des demandes de protection en 2015 – et de Calais, encouragée par les passeurs, a fait voler en éclats cette intention de départ.
Calais est aussi le résultat de l’échec de la répartition européenne des demandeurs d’asiles. Avec ce système, les 160 000 migrants devaient être directement « relocalisés » dans les régions d’accueil depuis la Grèce ou l’Italie, sans passer par des zones surencombrées comme Paris ou Calais. Si la France fait partie des bons élèves de l’UE avec 2 000 relocalisations, essentiellement depuis la Grèce, cet effort est loin d’être partagé. Seules 4 776 personnes ont été relocalisées à l’échelle du continent. On reste très loin des 160 000 attendues d’ici à septembre 2017.
Un an et demi de gestion de crise
L’actuel bidonville de Calais est le résultat d’une décision de l’État. Le 1er avril 2015, la préfecture signifie aux migrants de Calais que le terrain de la « lande », en périphérie est de la ville, est le seul où ils seront dorénavant « tolérés ». 2 000 exilés vont s’y installer dès la première semaine. Ils sont aujourd’hui entre 7 000 et 9 000.
En février 2016, la moitié sud du bidonville est détruite. L’État ne cache pas son souhait de fermer la zone nord. Mais les autorités, dépassées par de nouvelles arrivées, abandonnent l’idée d’aller jusqu’au bout.
Depuis un an, des efforts ont été réalisés pour résorber le camp de fortune : 6 000 migrants de Calais ont été orientés dans 164 Centres d’accueil et d’orientation (CAO), d’une capacité de 3 000 places, répartis dans 84 départements. Depuis 2014, 6 700 demandes d’asile ont été déposées à Calais même.
11/10/2011, Jean-Baptiste François
Source : La Croix