vendredi 22 novembre 2024 10:38

« Migrants et réfugiés », inventaire des idées reçues

En moins de cent pages, la juriste Claire Rodier décompose les préjugés et les clichés qui se sont multipliés ces dernières années à la faveur de l’arrivée en Europe de centaines de milliers de demandeurs d’asile du Moyen-Orient.

Crise des migrants ou des réfugiés ? Chance ou menace pour l’Europe ? Invasion de profiteurs ou légitimes demandes d’asile ? Souvent caricaturales, parfois latentes, de telles questions se sont instillées dans les conversations des habitants du Vieux Continent ces deux dernières années. Les multiples images et articles montrant de longues files d’hommes, de femmes, d’enfants du Moyen-Orient traversant les Balkans pour rejoindre le nord de l’Europe les ont suscitées. Avec elles, des explications lourdes de préjugés mais aussi de peurs ont progressé.

Chasser les préjugés sur les migrants

Dans « Migrants et Réfugiés, Réponse aux indécis aux inquiets et aux réticents », Claire Rodier, spécialiste du droit des réfugiés au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), tente de débusquer ces idées reçues.

Le choix de la forme de son ouvrage de 95 pages, qui emprunte au genre du manuel, dit à lui seul son souci : clarifier un sujet où l’émotion, la politique et la mémoire se sont entremêlées pour produire un agrégat explosif à l’usage des intentions populistes.

La juriste pose 22 questions, dont les réponses constituent autant de chapitres. Elles sont parfois factuelles – « Combien de migrants sont entrés dans l’Union européenne en 2015 ? » –, parfois polémiques – « Que les migrants soient majoritairement arabes et musulmans ne pose-t-il pas un problème supplémentaire à nos sociétés ? ».

Rassurer les esprits inquiets

Ayant choisi d’adopter un point de vue béotien, l’auteur progresse avec méthode et pédagogie. Elle rappelle par exemple que les migrations entre pays du Sud sont plus importantes en nombre que celles qui conduisent vers le nord.« Le total des réfugiés installés dans les 28 pays membres de l’Union européenne est équivalent au nombre de personnes que le Pakistan accueille sur son sol à lui tout seul », écrit-elle.

Elle convoque aussi les enseignements du passé, rassurant les esprits inquiets de voir l’économie nationale se dégrader. À ces derniers, elle signale que les départements français ayant accueilli des rapatriés d’Algérie après la fin de la guerre, en 1962, « ont très rapidement retrouvé des taux de chômage et des niveaux de salaire comparables à ceux des autres ».

La différence entre réfugié et migrant

Sans l’« angélisme naïf » reproché au discours sur les droits de l’homme, Claire Rodier affronte des interrogations qui restent latentes dans le débat public en raison d’une prétendue indécence mais dont l’évitement nourrit les fantasmes.

Sur la distinction sémantique entre « migrants » et « réfugiés », elle ose ainsi cette analyse iconoclaste : « D’une certaine façon, l’arrivée de Syriens, depuis 2011, a eu pour effet de raviver, en Europe, la distinction entre les deux catégories : au regard de la proximité et de la visibilité de la crise syrienne, il est difficile de nier qu’ils craignent avec raison des persécutions (…). C’est, en quelque sorte, le retour de la figure du réfugié sinon héroïque, du moins honorable. Mais, dans le même temps, on a tendance par opposition à considérer tous les autres (les « migrants ») comme n’ayant pas besoin de protection, donc infondés à prétendre s’installer. »

« Migrants et Réfugiés, Réponse aux indécis aux inquiets et aux réticents », de Claire Rodier, avec la collaboration de Catherine Portevin, La Découverte, 4,90 €, 95 p.

18/10/2016, Marianne Meunier

Source : La Croix

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