À Bruxelles, où la diversité se vit au quotidien, nombreux sont les commerces qui portent des appellations arabes, cohabitant parfois même avec des boutiques et enseignes internationales à la notoriété affirmée.
Ces appellations, joliment écrites en calligraphie arabe, ornées d’arabesques, de couleurs vives et de lumières scintillantes, ne laissent point indifférents les visiteurs de la ville, qui découvrent un autre visage de Bruxelles l’européenne.
Si des noms attribués à certains commerces sont purement le fruit du hasard, selon leurs propriétaires, la plupart en cachent des histoires, des souvenirs, des liens humains. Il ne s’agit pas uniquement d’appellations, mais plutôt une sorte de refuge contre le mal de l’éloignement des proches, la nostalgie de la Mère-patrie. C’est aussi, pour certains, un moyen de faire valoir leur identité, leur origine, dans le melting-pot bruxellois.
Dans la commune de Saint-Josse, à forte présence turque et marocaine, Mohamed a choisi une appellation pour le moins originale pour son projet. Son snack affiche non sans fierté le nom ‘’Al walida’’ (mère). Peut-être que ce vocable à forte charge émotionnelle est l’une des raisons qui font que son snack est très prisé, notamment par des jeunes immigrés, arabes et africains, fraichement débarqués en Europe pour la plupart.
‘’Ce nom m’apaise, m’aide à supporter l’éloignement, me rappelle ma maman chérie, me renvoie aux doux souvenirs de ma patrie’’, confie-t-il à la Map, expliquant que le nom de ‘’Al walida’’ occupe une place exceptionnelle dans l’imaginaire social, surtout dans les sociétés arabes, lequel est synonyme de sincérité, d’affection, de tendresse et de générosité. Des valeurs que Mohamed dit appliquer dans ses relations avec les clients, bien au-delà du rapport commercial.
Quelques encablures plus loin, au milieu du bouillonnant boulevard Le Monnier, une grande affiche aux couleurs chatoyantes accueille le visiteur. Bienvenue à la ‘’Fleur de Tunis’’, une pâtisserie offrant une large gamme de gâteaux traditionnels et autres délices orientaux.
‘’Ces gâteaux sont généralement préparés à base d’eau de fleur d’oranger ou de rose, d’où le nom Fleur de Tunis’’, explique le gérant du commerce, un jeune tunisien, l’air jovial.
Il faut dire que Saint-Josse et Le Monnier ne sont qu’une infime partie de la présence des commerces bien de ‘’chez nous’’, le parfum arabe embaumant d’autres lieux et places de la capitale de l’Europe.
Alors que certains commerçants ont recours notamment à des appellations à signification religieuse comme ‘’Al Badr’’, ‘’la baraka, ‘’Al khayr’’, d’autres optent pour des noms de lieux ou de monuments historiques de leur pays. ‘’Alexandrie’’ et ‘’kalaat halab’’( citadelle d’Alep) en sont quelques exemples.
Bien que les dimensions culturelle et émotionnelle revêtent une importance capitale dans l’explication de cette profusion d’appellations arabes, l’aspect économique est tout aussi déterminant.
Pour l’écrivain et poète marocain, établi à Bruxelles, Taha Adnane, ‘’les appellations arabes sur les façades des commerces abondent surtout dans les quartiers à forte communauté arabe, laquelle a longtemps souffert de difficultés économiques et sociales, avant qu’elle ne décide de faire valoir ses spécificités et profiter de cette niche commerciale’’.
En choisissant des noms arabes, ces commerçants dessinent les contours de leur politique commerciale destinée essentiellement à des clients avec qui ils partagent les mêmes origines, explique Taha Adnane, ajoutant que ces commerces sont venus répondre aux besoins de cette communauté, notamment des agences de voyages spécialisées en pèlerinage, des bains maures, des salles de fêtes, des supermarchés de produits halal.
Un attrait commercial qui a même poussé des entreprises belges à investir dans le secteur du halal, par exemple, en vue d’attirer une nombreuse clientèle musulmane établie à Bruxelles, relève-t-il.
Taha Adnane en a sa propre idée. Il voit dans ces appellations des signes culturels à but purement commercial, basé sur une sorte de contrat tacite dont les termes sont définis par un système culturel bien spécifique qui prend en considération les caractéristiques propres à la famille arabe.
Mais, au-delà des motifs personnels et économiques derrière ces appellations, d’aucuns y voient un vecteur de rayonnement de la culture arabe. Les librairies ouvertes ici et là, les cafés littéraires, les salons culturels ne sont-ils pas une fenêtre ouverte sur le patrimoine culturel arabe ?
18/10/2016, Samir Hilal
Source : MAP