vendredi 22 novembre 2024 10:16

Comment le Maroc peut-il mieux intégrer ses migrants ?

De pays de transit par lequel les migrants, essentiellement venus des pays d’Afrique subsaharienne et des pays arabes, s’arrêtaient avant de prendre le large vers l’autre côté de la Méditerranée, le Maroc est devenu progressivement un pays d’accueil. En septembre 2013, les autorités marocaines ont annoncé le lancement d'une nouvelle politique migratoire. C’est ainsi que le royaume a régularisé plus de 18.000 migrants entre 2014 et 2015, sur près de 27.000 demandeurs d’asile présents sur le territoire.

Mais régulariser la situation de ces personnes ne suffit pas à leur intégration dans leur pays d’accueil. Comment celle-ci pourrait-être effective? Une conférence organisée mercredi 19 octobre à Rabat par l’Agence allemande de coopération internationale avec le ministère chargé des MRE et des affaires de la migration, ainsi que d’autres organismes impliqués, a mis en lumière la stratégie migratoire allemande, turque et marocaine pour assurer l’intégration des migrants afin qu’ils soient des citoyens à part entière au sein de leur société d’accueil.

Une conférence durant laquelle un groupe tripartite (Allemagne, Maroc et Turquie) composé de chercheurs, de représentants de la société civile, de think tanks et de représentants gouvernementaux ont exposé l’expérience des migrants dans ces trois Etats et les challenges qui attendent ces derniers pour mieux les intégrer.

L’éducation avant tout

“En Allemagne, nous donnons une importance majeure aux cours de langue. La communication est très importante”, a souligné Rita Süssmuth, présidente d’Integration Strategy Group et ancienne présidente du Parlement allemand. Pour elle, “il ne faut pas abandonner les migrants dans la société, il est nécessaire de leur ouvrir les portes de l’enseignement”.

La spécialiste et ancienne femme politique explique que “garantir l’accès aux cours de langue et à l’éducation de manière générale permet de prévenir la scission culturelle”. Et de conclure: “Il faut aller de la fragmentation à la coopération, la cohésion”.

Peu après la rentrée scolaire 2015-2016, le ministre chargé des MRE et des affaires de la migration Anis Birou a annoncé que les enfants migrants devraient bénéficier “de cours d’enseignement des langues et de la culture marocaine”. Ce programme devait être ouvert à plus de 7.000 enfants de migrants, selon les chiffres officiels et pourrait, à terme, être étendu à l’ensemble des établissements publics du royaume.

D’un autre côté, une “circulaire du ministère de l’Éducation nationale a ouvert les portes de l’école marocaine à tous les migrants, qu'ils soient régularisés ou non”, selon Anis Birou.

Des indicateurs pour évaluer les politiques migratoires

“Nous (l’Allemagne, ndlr) avons mis beaucoup de temps avant d’accepter le fait que nous sommes un pays de migration”, a expliqué Malti Taneja, conseillère en politique publique au bureau du ministère d’Etat pour la migration, les réfugiés et l’intégration à la Chancellerie allemande.

Selon la responsable, “l’Allemagne s’est basée sur une centaine d’indicateurs pour évaluer l’efficacité des stratégies migratoires”. Parmi ces indicateurs, l’emploi et l’éducation prennent une importance majeure.

Pour garantir la réussite des politiques migratoires, il ne faut pas qu’elles soient figées, selon Malti Taneja. “Parfois nous échouons, mais nous apprenons de nos erreurs, surtout qu’il y a des indicateurs qu’on ne peut pas mesurer”.

Afin de peaufiner au mieux sa politique pour les migrants, l’Allemagne a ainsi révisé ses indicateurs d’efficacité à plusieurs reprises, et évalué à chaque fois les résultats de ses décisions politiques. “Nous n’avons pas hésité à éliminer des indicateurs parce qu’ils s’avéraient inefficaces et à en rajouter d’autres. Nous avons fini par adopter près de 70 indicateurs sur lesquels nous nous basons actuellement”, a-t-elle expliqué.

Mais les indicateurs d’efficacité ont également leurs limites. “Il y a des choses que l’on ne peut mesurer, comme le contact établi entre les migrants et les autres citoyens, les mariages inter-culturels… ce qui limite l’évaluation de la stratégie”, selon la conférencière. Des limites que l’Etat allemand compense avec des opérations de communication à l’adresse des migrants afin de mieux les intégrer.

L’intégration au marché de l’emploi pose toujours problème

Mais cette politique ne pourrait pas porter ses fruits à court terme, selon Malti Maneja. Selon elle, “l’accès au marché de l’emploi est toujours compliqué pour les migrants”. Un point relevé également par Jaouad Dequiuec, directeur de la coopération, des études et de la coordination sectorielle au ministère en charge des MRE et des affaires de la migration au Maroc.

“Les obstacles sont structurels, mais également économiques, sociaux et culturels”, a-t-il expliqué. Pour le responsable, “le manque de statistiques claires ne permet pas d’établir des stratégies ciblées et efficientes”.

Ce manque de statistiques s’explique notamment par la grande mobilité des migrants venus d’Afrique subsaharienne et des pays arabes en situation politique instable.

La perception de la société d’accueil représente également un frein selon Dequiuec, qui estime que “le sentiment général de la société d’accueil, surtout en Turquie et au Maroc, représente une barrière sensible pour que les migrants obtiennent leurs droits fondamentaux”.

Mais comment ces droits peuvent tout de même être garantis à cette population fragilisée? “Il est nécessaire d’intégrer la société civile, l’administration et les migrants afin de construire une vision commune.”

Faire entendre la voix des migrants

Et c’est sur ce point que s’est focalisé le plaidoyer de Metin Çorabatır, président du Centre de recherche en asile et migration en Turquie. “On parle beaucoup de migration, mais on ne donne pas assez la voix aux migrants”, a-t-il déclaré.

“Je plaide pour la création d’un espace commun pour discuter de cette problématique commune. Le système turc, comme le système marocain, a été construit selon l'idée que les migrants sont là de manière temporaire. Or, la Turquie et le Maroc commencent à réaliser que les migrants ont plus tendance à s’installer. C’est pour cela qu’il faut réfléchir sur des stratégies inclusives qui visent à les intégrer”.

Selon une responsable de l’Integration Strategy Group, cet objectif ne sera atteint par les trois pays que si l’on place les migrants au centre des stratégies. “On ne devrait pas seulement discuter d’eux, mais discuter avec eux. Comprendre leurs histoires et leurs challenges.”

20/10/2016, Youssef Roudaby

Source : huffpostmaghreb.com

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