Débat sur l'identité nationale et l'immigration, interdiction de la burqa et désormais polygamie: l'islam est depuis six mois au coeur du débat public en France, suscitant chez les musulmans un sentiment d'être stigmatisés et même leur exaspération.
"C'est de plus en plus dur. C'est comme si les gens avaient quelque chose dans le coeur contre nous depuis longtemps et maintenant que les hommes politiques le disent, ils se lâchent", regrette Mamadou Alpha Diallo, 73 ans, devant une mosquée parisienne.
Le gouvernement de droite du président Nicolas Sarkozy présentera d'ici juillet au Parlement une loi pour interdire dans l'espace public le voile islamique intégral, burqa et niqab. Et il saisit chaque occasion pour exprimer son opposition à toute manifestation d'un islam radical, qu'il juge contraire au principe de laïcité.
Le voile intégral "c'est très marginal", affirme Amar Lasfar, recteur d'une mosquée de Lille (nord), "et pourtant, on focalise, ici en France, là-dessus comme si c'était le problème numéro un des musulmans et de la société". Selon des statistiques officielles, il concerne moins de 2.000 femmes environ en France.
"On a l'impression que l'on trouve des personnes qui portent la burqa à tous les coins de rue. Les gens en parlent beaucoup. Il y a un sentiment d'exaspération parmi les musulmans. Il y a un cri: +laissez-nous en paix!+."
Le débat s'est encore envenimé le week-end dernier après qu'une femme eut été verbalisée à Nantes (ouest) car elle portait un niqab au volant. L'affaire, très médiatisée, s'est ensuite focalisée sur son mari, présumé polygame et membre d'un groupe radical musulman, selon le ministère de l'Intérieur qui a menacé de lui retirer sa nationalité française.
"Des épiphénomènes deviennent des faits de société. (...) La recherche de bouc émissaire n'est bonne pour personne", déplore le politologue Rachid Benzine.
Les responsables de la communauté musulmane -5 à 6 millions de personnes en France- craignent les conséquences de cette surmédiatisation. Ils remarquent par exemple qu'une mosquée d'Istres (sud-est) a été visée par un mitraillage, dans la nuit de samedi à dimanche.
"Les gens sont inquiets par rapport à ce traitement politique et médiatique des choses. Il y a (...) une certaine peur de réactions disproportionnées dans un climat où l'on sent une certaine hostilité", indique Ahmed Jaballah, directeur d'un institut qui forme des cadres de l'islam en région parisienne.
Ce risque de stigmatisation des musulmans a été dénoncé par des responsables de l'opposition et par certains dirigeants de la majorité de droite. Ils ont estimé en particulier que le large débat sur l'identité nationale --le sentiment d'appartenance à la nation-- lancé en novembre par le gouvernement était porteur de dérapages et de frictions entre les communautés.
"Des gens qui n'ont pas beaucoup de rapport avec la pratique du culte musulman se sentent (...) pointés du doigt et vivent très très mal ces débats sur l'islam", regrette Azzedine Gaci, recteur à Villeurbanne (centre-est).
Des intellectuels musulmans dénoncent une perception qui assimilerait l'islam de France à une approche radicale de la religion et à de petits groupes plus ou moins extrémistes. Dounia Bouzar, anthropologue, affirme que les discours politiques valident cette vision. "Comme si l'Islam correspondait à ces groupuscules", dit-elle.
Elle estime que la communauté a le "sentiment qu'on fait le procès de l'islam". "C'est ce que les groupuscules voulaient (...): créer une séparation entre les citoyens français autour de la question de l'islam. Les politiques sont tombés dans le piège", déplore-t-elle.
Source : Le Point/Reuters