Forte, depuis l'élection de Donald Trump, de l'image de gardienne des valeurs démocratiques occidentales, la chancelière allemande Angela Merkel a mené une carrière politique hors du commun pour une austère fille de pasteur élevée derrière le Rideau de fer.
La victoire du milliardaire républicain à peine annoncée aux Etats-Unis, commentateurs et éditorialistes inquiets se sont tournés vers la dirigeante conservatrice de 62 ans qui, après onze ans au pouvoir en Allemagne, semble le rempart le plus sûr face à une grogne populiste à l'échelle mondiale.
Lors de sa visite d'adieu, même Barack Obama a encensé "un partenaire extraordinaire" et laissé entendre qu'il voterait pour elle s'il était Allemand.
Certes, dans son pays aussi la droite dure anti-immigration a le vent en poupe, mais Mme Merkel paraît toujours en mesure d'arracher un quatrième mandat en 2017, une longévité exceptionnelle en Europe.
Face à ces louanges en série, la chancelière a réagi comme elle l'a toujours fait en 27 ans de carrière politique: en jouant la modestie. "Certes cela m'honore, mais je trouve ça aussi grotesque et absurde. Aucune personne ne peut à elle seule (...) rendre meilleure l'Allemagne, l'Europe et le monde".
Qui aurait parié, à l'automne 2005, après sa victoire à l'arrachée face au chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, que cette scientifique peu à l'aise sur l'estrade et peu au fait des dossiers internationaux deviendrait incontournable ?
Qui aurait misé sur cette Est-Allemande, moquée et méprisée à ses débuts par un monde politique dominé par des hommes ouest-allemands ? Pourtant sa carrière rivalise avec celle des "géants" Konrad Adenauer et Helmut Kohl.
Derrière sa réserve toute protestante se cache un redoutable animal politique qui n'a jamais faibli.
L'événement phare de ses trois mandats est sans doute aussi le plus controversé. En septembre 2015, rompant avec sa légendaire prudence politique, Angela Dorothea Merkel, née Kasner, décide, à rebours du reste de l'Europe, d'ouvrir son pays à 900.000 demandeurs d'asile.
Sa popularité plonge, les populistes gagnent du terrain. Un an plus tard, sa cote est repartie à la hausse mais reste loin des 75% dont elle pouvait se targuer lorsque l'Allemagne ronronnait grâce à ses succès économiques.
"Mère Angela", comme l'a surnommée la presse allemande en référence à Mère Teresa, doit désormais gérer en Allemagne la difficile intégration de ces migrants et composer en Europe avec le refus de nombre de membres de l'UE d'accueillir ceux fuyants guerre et répression en Syrie, en Irak ou en Afghanistan.
Elle ne put d'ailleurs imposer aux autres Européens un accueil partagé des réfugiés, alors qu'elle avait su forcer sa recette économique faite d'austérité sur le continent lors de la crise de la dette et de l'Euro, au grand dam de la Grèce.
Hormis lors de la crise des réfugiés, son style est plutôt marqué par un ultra-pragmatisme guidé par l'opinion et les rapports de force du moment, plutôt que par des convictions personnelles.
Le sociologue défunt Ulrich Beck a même inventé le concept de "Merkiavel", jeu de mot construit sur le nom du penseur Machiavel, pour décrire son mode opératoire, parfois attentiste, parfois implacable.
Dans le privé, ses passions connues sont peu nombreuses: l'opéra et les randonnées, brushing en berne et casquette sur la tête, avec son second époux, un scientifique de renommée internationale qui fuit la vie publique.
On la voit aussi régulièrement le vendredi soir dans un supermarché de Berlin achetant fromage et bouteille de blanc.
Cette apparence ordinaire et un bon sens affiché ont longtemps été le garant du succès de la chancelière auprès des électeurs allemands.
Sa vie d'avant la politique n'a guère connu d'aspérités. Angela Merkel a vécu une enfance austère dans la campagne de RDA, à côté d'un centre pour handicapés, où son père a volontairement installé sa famille en venant de l'ouest de l'Allemagne, afin de contribuer à l'évangélisation de la population dans l'Etat communiste.
Elle devient docteur en physique en s'accommodant du régime communiste. Ce n'est qu'après la chute du Mur de Berlin qu'elle entre en politique, d'abord comme porte-parole du dernier gouvernement de la RDA, puis en rejoignant le parti conservateur CDU.
C'est le chancelier de l'époque, Helmut Kohl, qui lui offre ses premières responsabilités ministérielles. Mais en 2000, profitant d'un scandale financier au sein de son parti, elle lui ravit le parti.
Consécration cinq ans plus tard: elle devient la première femme chancelière.
03/12/2016
Source : AFP