vendredi 22 novembre 2024 04:08

Dans les universités américaines, «les étudiants immigrés doivent désormais être sur leurs gardes en permanence»

«Nous sommes ici, nous ne partirons pas», peut-on lire sur la pancarte d'une étudiante, lors d'une manifestation sur le campus de l'université de Californie, à Los Angeles,

Jusqu'à la fin de l'année, «Libération» interroge un acteur de la société américaine après l'élection présidentielle. Aujourd'hui, Janet Napolitano, présidente des Universités de Californie.

Janet Napolitano est la présidente des Universités de Californie (UC), un regroupement de dix universités publiques californiennes, comprenant plus de 238 000 étudiants. Elle a aussi occupé les postes de secrétaire (équivalent de ministre) à la Sécurité nationale dans l’administration d’Obama et d’avocat général en Arizona. Trois postes qui n’avaient jamais été occupés par une femme. Le 30 novembre, elle a fait des Universités de Californie un «sanctuaire», annonçant que l’administration ne collaborera pas avec les agents fédéraux qui voudraient déporter des étudiants sans papiers.

Comment avez-vous géré l’inquiétude des étudiants immigrés après l’élection ?

Il y a beaucoup d’anxiété et de consternation. Certains de nos étudiants vont avoir de sérieux problèmes si Trump met en place les mesures dont il a parlé pendant sa campagne.

Est-ce possible qu’il applique la politique anti-immigration qu’il a promise durant sa campagne ?

J’en suis sûre. Le premier groupe d’étudiants concernés sont ceux qu’on appelle les étudiants «DACA». Ils n’ont pas de papiers et sont enregistrés sous le statut «Deferred Action for Childhood Arrivals» [qui protège certains immigrés sans papiers arrivés enfants aux Etats-Unis de l’expulsion, ndlr]. C’est un programme que j’ai lancé quand j’étais ministre de la Sécurité nationale afin de donner à ceux qu’on appelle les «Dreamers» [des étudiants sans papiers qui ont grandi aux Etats-Unis, ndlr] du répit et leur assurer qu’ils ne seront pas expulsés. Cela leur donne aussi l’autorisation de travailler. Ils sont aujourd’hui environ 75 000 à l’échelle nationale. 4 000 d’entre eux sont en licence à l’Université de Californie. Mais ce programme d’Etat peut être supprimé d’un trait de stylo. Cela ne me surprendrait pas que l’administration Trump le fasse.

Qu’est-ce que cela signifie pour les étudiants de ce programme ?

Ils ne peuvent pas prétendre à beaucoup d’emplois. Ils peuvent être arrêtés par l’ICE [Services de l’immigration et des douanes, ndlr] hors du campus. Désormais, ils doivent être sur leurs gardes en permanence. Leurs familles ne font pas partie du programme DACA et sont d’autant plus menacées d’expulsion.

Est-ce qu’il y a eu des agressions, des actes de violence ou des manifestations sur les campus californiens depuis l’élection ?

Oui. D’horribles lettres ont été déposées dans les casiers d’étudiants musulmans. Des messages ont été tracés à la craie sur les murs des campus. C’est comme si l’élection de Trump donnait la permission aux gens de faire ce qu’ils veulent.

Il y a eu des manifestations les trois premiers soirs. A mon avis, une fois qu’il sera investi et qu’il commencera à implanter certaines des mesures dont il a parlé, nous verrons plus de manifestations. C’est ce que nous anticipons.

Comment les universités gèrent-elles ces peurs ?

Nous envisageons de proposer des conseils juridiques à nos étudiants. Nous devons aussi décider si notre police de campus travaillera avec les services de l’immigration, si nous leur donnerons des informations. Nous n’allons pas coopérer, mais savoir comment gérer cela, ce que nous allons dire et comment le faire, est important.

Craignez-vous une baisse du budget fédéral pour l’éducation ?

Oui. De nombreux financements sont menacés. Medicaid [le programme public d’assurance maladie pour les plus pauvres, ndlr] par exemple. Les fonds d’aide aux étudiants et le fonds pour la recherche sont aussi en danger. En ce moment, je préfère imaginer que tout est menacé, jusqu’à ce que ce ne le soit plus.

La défaite d’Hillary Clinton a-t-elle eu une résonance particulière pour vous ?

Avant la fin de la campagne, le fait d’élire la première femme présidente des Etats-Unis ne me semblait pas primordial en soi. Puis j’ai compris que ce serait génial si, après le premier président afro-américain, on pouvait élire la première femme. Cela aurait été un grand signe de progrès, d’ouverture et d’intégration envoyé au reste du monde. Et cette porte nous a été claquée au nez.

6 décembre 2016, Marisa Endicott

Source : Libération

Google+ Google+