Le ministère italien de la Justice vient de nommer le Marocain Youssef Sbai en tant que professeur attaché, chargé de la formation des policiers et fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il animera des formations autour de l’Islam et les principes de la Charia. Une mission qui doit permettre notamment à ces fonctionnaires de disposer d’information sur cette religion. Le doctorant et acteur associatif détaille à Yabiladi ses prochaines missions et sa vision sur l’islam, l’extrémisme et la radicalisation en Italie. Interview.
Quelles sont les grandes lignes des formations que vous comptez mener ?
Les détenus ont été emprisonnés pour avoir enfreint la loi. La première question est donc de différencier ces violations de l’islam en tant que religion. L’ensemble des détenus sont en prison à cause d'affaires liées à la drogue, au vol ou à ce qu’on appelle « la micro criminalité ». L’islam n’a rien à voir avec leur détention.
Ces formations seront accordées aux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, soit non seulement les gardiens de prisons, mais aussi les officiers, les directeurs d’établissement, des médecins psychologues et des formateurs. Ils disposeront de présentations pour connaître l’islam en tant que religion. J’enseignerai plutôt les cinq piliers de l’Islam, les missions du prophète Mohammed et ses qualités, le respect de l’islam et la place qu’il accorde aux autres prophètes ainsi que les cultes, à l’instar de la prière, le jeûne pendant le ramadan, le pèlerinage.
L’accent sera notamment mis sur la prière et le mois de Ramadan…
En effet. Je pense surtout à la prière puisqu’elle se répète plusieurs fois par jour. Les fonctionnaires de ces établissements remarquent souvent que les détenus musulmans prient, sans pour autant comprendre l’objectif derrière cette pratique. Mon rôle sera de leur expliquer la prière, son objectif et les heures de prière. D’ailleurs, ici, les mosquées imposent des heures précises aux administrations sans expliquer, par exemple, qu’il y a des intervalles horaires pour chaque prière. Le Dhor commence à 12h30 mais ne se termine qu'avant le temps d’Al Asr. C’est en fonction de ces intervalles que l’administration commencera à accorder du temps aux détenus afin de leur permettre d’accomplir leur prière.
Je pense aussi au mois de Ramadan. Durant ce mois, le régime alimentaire des détenus musulmans change, tout comme les heures des repas. Cela pose des problèmes pour les administrations pénitentiaires qui doivent s’organiser. D’ailleurs au niveau de ces centres, le Sohor a toujours été un problème.
Quel est, selon vous, le rôle de la formation pour combattre l’extrémisme, entre autres ?
Déjà, il faut savoir que les fonctionnaires des centres de détention ne connaissent pas l’islam en tant que religion. Ils ne connaissent pas non plus les cultes, les relations du musulman avec le Coran et avec le Prophète et le rôle de ces deux derniers avec l’islam. Ce sont des relations assez compliquées qu’il faut leur expliquer. Ils peuvent voir un musulman barbu, vêtu d’une djellaba, en train de prier, et croire qu’il est peut-être devenu extrémiste. Mon rôle sera de leur expliquer que l’extrémisme n’a rien à voir avec l’habillement mais plutôt les idées, les orientations et les visions exprimées par la personne. C’est aussi son comportement. L’ensemble de ces actions peuvent entrer dans le cadre d’une vision extrémiste qui restera loin de la doctrine musulmane que nous connaissons tous.
Il faut reconnaître qu’une session ou deux ne permettront pas à ces fonctionnaires de différencier un musulman modéré d'un musulman extrémiste. Les piliers de l’islam et les six finalités et objectifs supérieurs de cette religion peuvent constituer une base pour permettre d'effectuer cette différenciation à partir d’un comportement.
Ces finalités et objectifs supérieurs tournent autour de la thématique de la conservation. Chaque discours tenu par un détenu contraire aux finalités et aux objectifs de l’islam et de la charia, est un prisonnier qui ne respecte pas ces principes.
L’objectif est de disposer à ces fonctionnaires des connaissances basiques sur l’islam, mais aussi sur les cultures musulmanes puisqu’ici, on ne fait pas de différence entre la religion musulmane et la culture musulmane, qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Les formations seront-elles être suffisantes ?
La réponse est négative malheureusement. J’ai expliqué aux autorités et aux responsables que les formations en elles-mêmes ne seront pas suffisantes pour relever les processus de radicalisation chez les détenus. La radicalisation en elle-même diffère d’une personne à l’autre.
Je crois qu’il faut aussi mettre en place, dans chaque centre, un expert en islam pour aider et soutenir les autres fonctionnaires à faire la distinction entre islam et extrémisme.
Cette volonté d'instaurer des formations émane-t-elle d’une conviction de l’importance de connaître l’islam ou cela a t-il a été imposé par la conjoncture actuelle en Europe ?
La situation actuelle en Europe, particulièrement les événements en rapport avec le terrorisme et l’extrémisme religieux, a accéléré cette volonté. Les centres de détention en Italie n’ont connu une affluence de détenus musulmans que lors des 20 ou 25 dernières années. Avant, il n’y avait pas eu d’attention particulière accordée à l’islam au sein des prisons italiennes. Il a fallu attendre après 2010. L’Union européenne s’en était aperçue et avait commencé par la suite à exhorter les pays membres à se pencher sur ces questions relatives à la religion au sein des centres de détention. C’est depuis cette date que le ministère italien de la Justice a débuté ses premiers projets qui n’ont pas cessé d’évoluer. Ces formations visent actuellement à accorder aux détenus musulmans leurs droits de culte et de pratiques musulmanes au sein des prisons, et en même temps surveiller l’extrémisme au sein de ces centres et ses signes.
Récemment, des Marocains ont été expulsés d’Italie pour des affaires liées au terrorisme ou à l’extrémisme religieux, mais pas d’Algériens ou de Tunisiens. Les Marocains se radicalisent-ils plus que leurs voisins ?
Au contraire. Les Marocains sont la première communauté de musulmans en Italie. Ils sont presque 450 000 ressortissants. On ne peut pas donc les comparer avec les autres communautés. Il faut aussi savoir que les individus expulsés n’ont pas commis d’actes ou d’attentats terroristes mais ils peuvent, selon les autorités, constituer un potentiel danger pour la sécurité du pays. Ces opérations d’expulsion rentrent, si on veut, dans le cadre de la prévention. Généralement, les autorités se rapportent aux discours tenus lors d’un prêche ou sur les réseaux sociaux. Le nombre de personnes expulsées ne dépassent guère 10 individus par an.
Le gouvernement italien compte procéder à des formations au profit des imams. Avec les formations que vous allez mener et l’ensemble des mesures prises, pensez-vous que les autorités italiennes réussiront à combattre l’extrémisme religieux ?
Pour les formations des imams, ce ne sont que des idées de projets. Deuxièmement, les mesures entreprises par les autorités italiennes restent limitées puisque ces efforts pour comprendre l’islam et combattre l’extrémisme sont très récents. Pour cela, nous n’avons pas encore un travail structuré et institutionnalisé qu’on peut qualifier de réussite. Nous menons actuellement des études sur la formation des imams, entre autres, en collaboration avec des universités italiennes et sur les formations du personnel des administrations pénitentiaires. Les études montrent qu’il y a une collaboration entre les mosquées et les autorités, puisque les premières participent à l’enseignement d’un islam modéré et d’un échange inter-religieux. D’ailleurs, durant la dernière semaine du mois d’octobre de chaque année, les musulmans et les catholiques organisent une centaine de rencontres entre eux. Il faut aussi savoir que la radicalisation ne commence jamais dans les mosquées mais plutôt dans les centres de détention ou sur Internet. Cela montre que ce ne sont pas les mosquées qui représentent un danger pour l’Europe mais plutôt les prisons et le web.
02/01/2017, Yassine Benargane
Source : Yabiladi