La France pourrait être beaucoup plus, et autrement, "républicaine" : telle est la thèse qui ouvre l'essai de Cécile Laborde, professeure de théorie politique à l'université de Londres. Le propos peut sembler provocateur, tant il paraît évident à beaucoup que notre pays incarne la République.
Ce consensus apparent ne doit pas faire oublier que le républicanisme peut s'interpréter diversement. Ainsi, déplore la philosophe, le gouvernement Sarkozy, en présentant les rares cas de niqab comme une menace pour l'identité nationale, "revendique et instrumentalise sans vergogne les thèmes traditionnels du républicanisme à la française" que sont la citoyenneté, l'égalité entre les sexes et l'intégration nationale. Une captation d'autant plus aisée que la gauche peinerait à opposer une alternative à "la rhétorique répressive, populiste et xénophobe" qui accompagne ces postures républicaines.
De telles confusions, juge Cécile Laborde, ont des racines profondes. Aussi faudrait-il repenser le républicanisme par un détour conceptuel, loin de l'Hexagone, afin de mieux accomplir ses promesses d'émancipation. L'auteure se réclame en effet d'un "républicanisme critique", inspiré du philosophe anglophone Philip Pettit et de son célèbre livre Républicanisme (Gallimard, 2004).
L'idée maîtresse est que la liberté républicaine désigne la "non-domination" : être libre signifie ne pas être dominé, c'est-à-dire ne pas subir l'autorité arbitraire d'autrui. Dans l'Antiquité, le paradigme de la domination s'appliquait aux esclaves, mais on peut l'actualiser en l'étendant à tous les cas où l'arbitraire de la domination est patent, notamment celui des "minorités", ethniques et sexuelles.
Cécile Laborde voudrait donner une consistance sociologique à ces idées en montrant l'apport possible du "républicanisme critique" aux débats français autour de la laïcité en général, et du "voile" en particulier. Synthétisant les arguments mobilisés lors de la genèse de la loi de 2004 sur les "signes religieux ostensibles", elle cherche une troisième voie entre, d'un côté, le "républicanisme classique" ou "laïciste", et, de l'autre, les partisans de la tolérance ou du multiculturalisme.
"Paternalisme" autoritaire
Si elle n'est pas favorable à l'interdiction du voile, qui exprimerait le "paternalisme" autoritaire de l'Etat, elle ne rejoint pas pour autant les arguments contre la loi qui sous-évaluent les pressions religieuses et patriarcales dans la famille et la société. Plutôt faudrait-il parier sur la capacité des enseignants à faire partager à tous leurs élèves les idéaux d'autonomie et d'égale dignité, pour aider à l'auto-émancipation des jeunes filles.
Ce type de démarche s'applique aussi, montre l'ouvrage, aux controverses sur la neutralité de l'Etat ou sur les discriminations. La conviction qui sous-tend son "républicanisme critique" est que les jeunes issus de l'immigration ne sont pas d'abord en quête de reconnaissance identitaire : leur problème, d'ordre social, c'est celui de la discrimination et de la domination qu'ils subissent.
La démonstration est brillante, pédagogique et informée, même si elle va parfois un peu vite. Sa critique expéditive de la commission Stasi ou son évocation des philosophies de la IIIe République pourraient être creusées et discutées. Mais qu'on en partage ou pas les conclusions, elle apporte de l'air frais à une pensée républicaine française qui en a bien besoin.
Source : Le Monde