Tout est parti d'une rumeur. Il y a deux mois la commune de Six-Four-les-Plages (Var) était agitée par une polémique sur des prétendus cours d'arabe obligatoire. Un fantasme qui a généré un combat juridique entre la mairie et l'Etat.
Depuis la fin du mois de septembre, la commune de Six-Four-les-Plages, dans le Var, est le théâtre d’un combat juridique autour de l’enseignement de la langue arabe à l’école. Dans un camp, le député maire Jean-Sébastien Vialatte, dans l’autre, l’Etat, représenté par la préfecture. Le champs de bataille, l’école Reynier, où la police municipale a débarqué pendant un cours. Et l’origine du conflit : une rumeur.
Tout commence le 25 septembre, quand une mère publie sur Facebook une photo du carnet de correspondance de sa fille, scolarisée à l’école primaire Reynié. A l’intérieur, un mot qui invite les parents à indiquer s’ils veulent inscrire leur(s) enfant(s) à des cours de langue arabe. «Devoir signer les papiers sur le carnet de liaison pour l’enseignement de la langue arabe en primaire, ça y est, encore un cap de franchi…», écrit-elle.
Panique générale
Mouvement de panique générale déclenché, avec une publication largement partagée et l’idée selon laquelle ces cours seraient obligatoires véhiculée. Rien de tel en réalité. Comme le montrait au moment de la polémique un article des Décodeurs, le cours en question s’inscrit dans le système d’enseignement de langue et de culture d’origine, dit ELCO. Créé en 1997, ils visaient à l’origine à scolariser les enfants des travailleurs migrants, explique le ministère de l’Education.
«Le principe qui fonde ces enseignements, à l’origine, est que la maîtrise de la langue maternelle est un préalable nécessaire à la réussite d’une langue seconde», développe le ministère sur son site. La France a donc passé des accords avec neuf pays (l’Algérie, la Croatie, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie, la Tunisie et la Turquie) qui recrutent et paient des professeurs pour dispenser ces cours.
Destiné aux enfants originaires de ces pays, ils sont proposés, à partir du CE1 à titre optionnel, à raison d’1h30 à 3 heures par semaine. Interrogée par les Décodeurs, la direction de l’école Reynier expliquait : «Nous disons simplement aux élèves qui peuvent être concernés de lever la main pour qu’on leur distribue un papier.» Rien n’oblige donc personne à prendre le papier en question et à le remplir.
«Catéchismes islamiques»
«Une nouvelle fois, les parents des élèves de l’école primaire Reynie à Six-Four ont reçu un document afin qu’ils procèdent à l’inscription de leurs enfants à des cours d’arabe», s’indignait pourtant la fédération FN du Var, ne s’embarassant pas du réel.
Quelques jours plus tard, c’était au tour de Jean-Sébastien Vialatte, député maire de Six-Four-les-Plages, d’envoyer une lettre à l’inspecteur de l’académie de Nice, expliquant : «Je ne signerai pas la fiche qui autorise l’intervention de cours de langue arabe pendant le temps périscolaire, période dont j’assume l’entière responsabilité. En effet, dans un rapport datant de 2013, le Haut conseil à l’intégration remettait en cause ces enseignements, allant jusqu’à affirmer que certains cours s’apparenteraient à des “catéchismes islamiques”». Si de nombreux acteurs de l’éducation nationale estime que ces accusations ne tiennent pas la route, Najat Vallaud-Belkacem a expliqué qu’elle souhaitait revoir le dispositif qui n’assurait pas un «enseignement linguistique de qualité» et véhiculait une «logique d’entre soi».
Deux mois après, le 24 novembre, alors que la polémique semblait avoir cessé d’agiter parents d’élèves, politiques et médias, la préfecture du Var dépose un recours devant le tribunal administratif de Toulon, lui demandant de suspendre la décision du maire de s’opposer à l’utilisation des locaux de l’école pour les cours.
Un pli du maire
La décision rendue par le tribunal permet de comprendre pourquoi la préfecture a décidé d’engager une bataille deux mois plus tard. A sa lecture, on apprend en effet que le maire a fait intervenir la police municipale à l’école au moment où les cours étaient prévus. La première fois, le 18 novembre, ils constatent que le cours n’as pas lieu, la seconde, le 25, ils remettent au professeur un pli du maire.
«Je n’avais pas d’adresse ni de téléphone pour le joindre, je n’avais donc pas d’autre moyen que de faire porter le pli par la police municipale, raconte – sérieusement – à Libération Jean-Sébastien Vialatte. J’y explique que pendant le temps périscolaire, il n’a pas à rentrer dans l’école sans l’accord du maire.»
Sauf que, comme le rappelle le tribunal administratif, ces cours relèvent de l’autorité du ministère de l’Education nationale. Le maire n’a donc rien à dire sur l’utilisation des locaux de l’école. Il doit les mettre à disposition. Point. Ou presque. Car le tribunal explique aussi que le refus du maire de signer la fiche d’installation au professeur n’a pas empêché la tenue du cours. Pas plus que l’intervention de la police. En bref, le tribunal considère que le maire a seulement fait état de son refus de signer la fiche d'installation et que ce refus n'entraîne pas l'interdiction d'accès aux locaux. Et pour cause : il n’en a pas le pouvoir.
La justice administrative reprend ainsi la ligne de défense de la mairie. Cette dernière considère en effet que son refus de mettre l'école à disposition, n’étant que déclaratif, n’empêchait pas la tenue des cours. On peut y voir de la mauvaise foi – puisqu’on peut supposer que dans ces conditions le prof est a minima découragé – ou l’aveu d’une opération de communication – puisque la mairie admet qu’elle a fait tout ça, en sachant qu’elle n’avait aucun pouvoir sur le sujet.
Toujours est-il que le tribunal, tout en rappelant que la mairie n’a pas son mot à dire, a rejeté le recours de la préfecture.
Temps périscolaire
Fin de l’histoire ? Ce serait trop facile. Le 8 décembre, Jean-Sébastien Vialatte va plus loin en interdisant par arrêté les cours à l’école sur le temps périscolaire quand ont lieu les ELCO.
Il pense en fait avoir trouvé une faille : si l’Etat est responsable du temps scolaire, c’est la mairie qui l’est pour le temps périscolaire.
«Ce n’est pas question de politique antiarabe mais une question de définition de la responsabilité des uns et des autres, assure l’édile condamné en 2014 à 2.000 euros d'amende pour incitation à la haine raciale. C’est la défense de la liberté des collectivités à s’administrer qui est en jeu. On a proposé des cours d’arabe mais j’aurais fait pareil pour une autre langue.»
Libre à l’Etat d’organiser les ELCO pendant le temps scolaire, explique-t-il. Ce qui signifierait que les élèves assistant au cours d’arabe rateraient les cours ? Impossible, car les ELCO ne peuvent être dispensés qu’en supplément et non en remplacement.
Jean-Sébastien Vilatte joue en fait sur les mots, en laissant penser que le «temps scolaire» est une question d’horaires. Comme si à 16h30, à la fin de la journée d’un écolier, on passait directement dans le domaine périscolaire. En réalité, le «temps scolaire» définit tous les moments dédiés à l’enseignement dont l’Etat est responsable. Enseignements dont font partie les ELCO.
5/1/2017, Charlotte Belaich
Source : Libération