Condamné fin novembre à 10 ans de prison en Hongrie pour "acte de terreur" lors d'un procès "honteux", le Syrien Ahmed illustre la "régression continue" des droits en Europe au nom de la lutte antiterroriste, selon un rapport mardi de l'ONG Amnesty international.
Ce résident chypriote qui disait aider ses parents à fuir la Syrie, avait jeté des pierres sur la police et utilisé un mégaphone lors d'émeutes en 2015, au cours desquelles des migrants avaient tenté de forcer la clôture érigée par la Hongrie le long de sa frontière avec la Serbie.
Des témoignages flous de policiers - "Je ne peux pas décrire la personne qui parlait dans le mégaphone, ils se ressemblent tous" - ont été retenus contre lui, mais la cour a balayé tout élément en sa faveur, notamment une vidéo le montrant appeler la foule au calme, dénonce Amnesty, pour laquelle ce cas met en lumière la "mauvaise utilisation flagrante de la législation antiterroriste" en Europe.
Mesures d'exception, pouvoirs accrus de l'exécutif, discriminations... Du fait de la "sécurisation" des territoires imposée par des attentats en 2015, "la peur, l'aliénation et les préjugés rognent progressivement les pierres angulaires de l'Union européenne que sont la justice, l'égalité et la non-discrimination", observe le rapport d'Amnesty qui porte sur quatorze États membres.
"Pierre après pierre, l'édifice de la protection des droits fondamentaux, construit avec tant de soins après la Seconde Guerre mondiale, se fait démanteler" au nom de la "lutte contre le terrorisme", a affirmé John Dalhuisen, son directeur pour l'Europe, lors d'une conférence de presse.
Et Amnesty de lister les mesures prises dans ce cadre : adoption de lois "à la hâte", avec "très peu" de consultation, "consolidation du pouvoir dans les mains de l'exécutif" ou des services de sécurité, aux dépens du système judiciaire, "exigences en matière de preuves revues à la baisse", ou invocation de "preuves secrètes" contre des suspects qui ne leur sont pas divulguées, ni à leurs avocats, utilisation de mesures de "contrôle administratif" pour restreindre la liberté de circulation et d'association de certains individus, "pénalisation de nombreuses formes d'expression qui sont loin de constituer une incitation à la violence", etc.
La France, où 238 personnes ont perdu la vie dans des attentats depuis janvier 2015, a joué un rôle de "leader" européen dans ce durcissement législatif, Hongrie, Bulgarie, Pologne ou Luxembourg s'étant ensuite "inspirés" de son exemple, a estimé John Dalhuisen.
Depuis l'instauration par Paris de l'état d'urgence après les attentats du 13 novembre 2015, reconduit cinq fois depuis lors, "des centaines de personnes", dont certaines mineures, ont été poursuivies pour "apologie du terrorisme", souvent pour des commentaires sur le réseau social Facebook.
En Espagne, des lois sur la "glorification du terrorisme" ont "ciblé des artistes et musiciens", poursuit le rapport.
Certaines populations, en particulier "les musulmans, les étrangers, ou les personnes considérées comme musulmanes ou étrangères", ont été discriminées "de manière disproportionnée et extrêmement néfaste" du fait de ces mesures, relève l'ONG.
Alors qu'"injures" et "agressions" se sont multipliées, des passagers ont été contraints de descendre d'avion au prétexte qu'ils "ressemblaient à des terroristes", des femmes se sont vu interdire le port du burkini, maillot de bain intégral, sur la plage en France, des enfants réfugiés ont été arrêtés pour avoir joué avec des pistolets en plastique en Grèce, énumère-t-elle.
"La régression continue de nombreux aspects de la protection des droits au sein de l'UE doit cesser", tonne Amnesty, qui appelle les États à "respecter leurs obligations internationales".
Et John Dalhuisen de louer le contre-exemple allemand, où "l'attachement aux valeurs des droits de l'Homme" est selon lui "beaucoup plus important" qu'ailleurs en Europe.
17 jan 2017
Source : AFP